Chapitre 1
- Ah, oui, quand-même, murmura Topaz en sursautant, tout juste réveillée.
Elle s’assit en tailleur, la couette couvrant encore ses genoux, et se gratta la nuque. Visiblement, Psycho-kun était encore de sortie ce soir. Le personnage en lui-même n’avait rien d'effrayant, toujours représenté sous les traits d'un jeune homme brun dans la vingtaine ; mais ses apparitions régulières dans les rêves de la jeune fille la troublaient étrangement. Elle poussa un long soupir, tachant de ne pas s’attarder sur ce détail, et s’allongea de nouveau. Elle était consciente que ce phénomène n’avait rien d’étrange : elle n’était pas la seule à qui il arrivait. Elle fronça les sourcils malgré elle.
C'est moyennement rassurant, remarqua-t-elle en son for intérieur.
Elle resserra les couvertures autour d'elle, s'appliquant à recouvrir son corps jusqu'aux épaules, et ferma les yeux.
Il n'existe pas. C'est juste ton imagination qui te joue des tours, Topaz. Tes rêves doivent bien l'aimer, alors ils le font revenir souvent. C'est tout. Ok ?! tentait-elle de se convaincre. Néanmoins, une part de son inconscient refusait de s'en tenir à une si faible résistance. Si elle ne parvenait pas à se convaincre elle-même, alors qui pouvait-elle bien espérer tromper ?
Elle prit une longue bouffée d'air et conclut à mi-voix.
- C'est la fatigue, ma vieille. T'iras mieux demain.
Elle étendit un bras et chercha son ordinateur à tâtons, le sachant posé en équilibre sur une pile de livres, eux-mêmes exposés sur sa table de nuit. Une fois certaine de l'avoir bien en main, elle le tira vers elle, et le posa à côté de son oreiller, ne se relevant que sur un coude. Elle créa un nouvel onglet, y ouvrit Shipping Infinity, et rédigea rapidement son rêve, de peur de l'avoir oublié le lendemain. Ceci fait, elle referma la machine, sans-même prendre la peine de la retirer de son matelas.
Pour la énième fois, elle laissa ses paupières s'abaisser, et s'endormit finalement plus vite qu'elle ne l'aurait cru.
***
Dizzy ouvrit les yeux.
- What the fuck, lâcha-t-elle tout haut, tâchant de rassembler ses esprits.
Elle ne sentait plus sous elle le confortable matelas où elle passait la plus large partie de ses journées ; mais le sol, ferme et rude, recouvert d'un monticule d'objets aux origines et usages variés. Elle se releva et s'assit sur le rebord du lit, une main frottant son dos endolori, et l'autre à son front ; ce second geste ayant pour but de lui faire retrouver ses esprits plus rapidement. Une trentaine de secondes suffirent à lui remémorer son dernier rêve, qui lui arracha un frisson, puis un sourire amusé.
- Dreadman... ! Encore... ?
Cet homme, surnommé ainsi pour ses évidentes dreadlocks, n'en était pas à sa première apparition dans les rêves de la jeune fille. La première fois, il n'avait été qu'un vague inconnu, au cœur d'une fête quelconque. Puis il était revevu, par deux fois. Celle-ci était la troisième. Plus ils se croisaient : moins les rêves en question avaient de sens. Cela n'avait jamais inquiété Dizzy : des rêves restaient des rêves. Mais l'idée qu'un étranger, sorti tout droit de sa propre imagination, soit un personnage aussi récurent dans ses pensées les plus enfouies, avait un aspect malsain qu'elle n'aimait guère.
Dizzy n'était pas du genre à tourner le dos aux choses malsaines de la vie ; son côté masochiste l'incitait toujours à aller au bout des choses (ce que certains lui reprochaient parfois). Mais, au-delà de l'étrange, voire-même au-delà de l'inexistence de Dreadman, elle se sentait suivie.
Elle se savait incapable d'oublier ce rêve ; aussi fit-elle le choix de poursuivre sa nuit, tant qu'elle avait encore sommeil ; et d'aller confier ce rêve aux membres de Shipping Infinity dés le lendemain.
***
- Sa mère ! hurla Kai dans un sursaut.
Elle ouvrit soudainement les paupières, et se redressa aussi vite, de manière à se trouver assise. Elle se dépêtra des mille-et-une couvertures qui entravaient ses mouvements, et les jeta au loin. Elle avait comme l'impression de brûler de l'intérieur, ce qui n'était - à ses yeux du moins - pas un réveil des plus agréables. Elle avait connu pire, mais également mieux. Bien mieux. Le cauchemar dont elle venait de s'échapper était d'une rare violence, et pour rien au monde elle n'aurait voulu avoir à le vivre une seconde fois.
Elle déglutit et prit une profonde inspiration.
- C'est juste un rêve, mais... Bordel, elle sort d'où, cette fille ?
Voir son père tué, sa mère torturée, et son frère prêt à subir un sort au moins égal ; le tout par une femme, blonde aux yeux bleus, qu'elle ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam, en aurait traumatisé plus d'un. Elle avait certes su répliquer, jusqu'à la réduire même à l'état de charpie, mais l'image de cette étrangère, tâchée du sang de sa famille, la hantait encore, alors que le reste des détails n'était déjà plus qu'un amas flou qu'elle sentait près de sombrer dans ses souvenirs lointains.
Elle attrapa la bouteille judicieusement posée au pied son lit et en but une longue gorgée, puis soupira et s'allongea.
Si elle s'était pliée à ses envies passagères et avait laissé de côté ses besoins les plus primaires, elle se serait saisi de son ordinateur et n'en aurait plus décroché de la nuit. Néanmoins, elle devina qu'agir de la sorte ne lui apporterait rien de bon.
Elle ferma les yeux. La scène du cauchemar lui apparut comme par automatisme, et les rouvrit aussitôt.
- Je ne la sens pas très bien, cette fin de nuit... maugréa-t-elle, sans cesser de froisser ses draps par des mouvements incessants.
Après encore une trentaine de minutes, qui ne purent que l'agacer profondément, elle parvint à trouver un sommeil approximatif, qui tint jusqu'au petit matin.