*Sous les conseils de plusieurs personnes, j'ai réécrit le premier chapitre de ma fic, de façon un peu différente. Je laisse tout de même la première version à la suite de la nouvelle version. Un grand merci à Dragibus pour son importante contribution et sa précieuse aide pour la réécriture de ce chapitre.*

Chapitre I : Comment tout commence (second essai)
Bruits de ferrailles. Le professeur Tan sort de son laboratoire, l'air ennuyé et inquiet.
Il s'approche de la source de ce vacarme.
Une jeune fille fouille dans ses poubelles et tient dans sa main de vieux restes de nourriture. Ses joues sont creuses, son visage est pâle.
- Qu'est-ce que tu fais ici ?
L'homme l'interpelle. Elle sursaute de stupeur. Elle ne l'avait pas remarqué.  Elle tente de bégayer une explication, mais  le professeur soupire, la tire doucement par la main et l'emmène dans son laboratoire.
Elle se présente, elle s'appelle Kathy.
Il la fait asseoir et se dirige vers la cuisine pour lui préparer un plateau-repas.  

Mais la jeune fille est curieuse. L'homme s'est à peine absenté qu'elle s'approche de son laboratoire. L'une de ces pièces contient une masse de produits et d'instruments scientifiques. Elle semble intéressée : elle entre, regarde d'abord le tout avec curiosité, puis passe légèrement ses doigts sur la paillasse, les fioles, le microscope...
- Qu'est-ce que tu fais ?
Une nouvelle fois il la surprend, une nouvelle fois elle sursaute. Elle bredouille quelques excuses. Il ne dit rien, il lui sourit.
Il l'invite à regarder de plus près. Elle le questionne sur l'utilité de tout ce fouillis. Il lui répond :
- Je suis Professeur Pokémon, je fais des recherches sur un produit miracle à utiliser en combat. Je  suis un grand admirateur de l'illustre Professeur Chen, du Bourg-Palette. Je voudrais suivre son exemple et contribuer à mon tour au bien-être des Pokémon.

Alors elle s'approche, juste pour jeter un œil. Mais Tan  n'est pas ordonné. Son pied roule sur une Pokéball vide qui traîne à terre. Elle dérape sur le carrelage humide, mouline désespérément des bras pour tenter de retrouver son équilibre et se rattrape lourdement à la table.
Entraînant dans sa chute produits, éprouvettes, tubes à essais et béchers qui se renversent sur elle.
Elle s'évanouit sous le choc. Il se précipite pour l'aider, mais un phénomène étrange se produit alors, quelque chose que le savant ne reconnaît pas et ne comprend pas.

Du corps de la jeune fille rayonne progressivement une lumière blanche qui devient  de plus en plus éclatante, jusqu'à en être aveuglante. La silhouette se transforme. Elle diminue de taille et de volume, se couvre d'écailles couleur sable. Les ongles se transforment en griffes, le nez s'allonge en museau, des oreilles et une queue pointent...Et lorsque la lumière s'affaiblit enfin, le professeur n'a plus devant lui qu'un Sabelette.

Il n'a pas le temps de tenter quoi que ce soit : quelqu'un arrive. Une troisième personne.
C'est Kai, un jeune dresseur avec qui il avait rendez-vous et qui vient chercher son premier Pokémon.  Le professeur a complètement oublié qu'il devait lui en remettre un et, du coup, il n'en a pas à sa disposition.
Tant bafouille une excuse : il n'a pas eu le temps, il était pris par ses recherches... Le jeune homme pourrait peut-être repasser plus tard ?
C'est alors que celui-ci  avise le Sabelette qui gît inconscient dans le laboratoire :
- Et celui-là, je ne peux pas l'avoir ? Il a l'air endormi...
- Euh, non ! Malgré les apparences, il est encore sauvage. Il ne convient pas à un dresseur débutant...
Mais le garçon ne veut rien entendre : il est pressé de commencer sa quête.

Alors, avant que le professeur ait pu tenter quoi que ce soit pour l'en empêcher, il attrape la pokéball traînant par terre dans le bazar du laboratoire et capture d'un geste précis le Sabelette.
- Vous voyez ? C'était facile ! Il n'a pas l'air bien féroce pour un Pokémon sauvage... Ne vous en faites pas, je saurai bien m'en occuper !
Le savant est atterré, il ne peut rien faire. Il ne peut rien révéler à Kai.
Alors il prend la décision de la lui confier.
- D'accord. Prends-en grand soin surtout, c'est un Pokémon auquel je tiens beaucoup...Reste-là, je vais te le préparer.

Il s'en va, l'espace d'un instant dans une autre salle, avec Kathy dans sa pokéball. Elle a repris conscience, il la sent remuer. Il l'appelle, il lui explique.
Il lui dit qu'il est désolé, il lui dit d'essayer de trouver une solution avec le garçon. Lui ne peut pas grand chose pour l'instant. Il va faire des recherches, mais il lui faut du temps.
Il a peur pour elle, mais aussi pour lui.
- Kathy, ton dresseur s'impatiente, je t'en prie, pardonne moi. Tu verras, ça ira, je t'aiderai ! Ne t'en fais pas.... Mais qu'est-ce que j'ai fait ?


____________

Spoiler:

Ce professeur est très étrange. Mon Sabelette a l'air d'aller bien. Il est temps de me mettre en route. Je n'aime pas traîner ici.
- Merci professeur. A bientôt !
- Donne-moi de tes nouvelles !
- Sans problème.
Mon Pokémon parait dépaysé. C'est sûrement normal, il vient d'être capturé.
Je le ramène dans sa pokéball, et j'avance.


Un dresseur. Tant mieux, je vais voir comment se débrouille ce Sabelette. Il s'approche de moi. Il veut combattre, j'en suis sûr.
- Je m'appelle Alex.
- Et moi Kai.
- Ça te dit un défi ? Je viens d'avoir mon Pokémon, depuis quelques jours, et je l'entraine.
- Avec plaisir.
Alex a l'air confiant.
Il envoie un Bulbizarre, je lance ma pokéball.
Le Bulbizarre commence par une attaque charge. Sabelette tremble, il court, il fuit à toutes pattes. Il a l'air encore plus perdu qu'auparavant.
- Sabelette ! Riposte au lieu de fuir !
Il n'écoute rien. Il court.
- Fouet Liane !
Mon Pokémon est quelque peu blessé.
- Riposte bon sang! Griffe, allez!
Il tourne la tête vers moi et se décide enfin à réagir. Il griffe, griffe, griffe, comme une bête en furie.
Mais le Bulbizarre est beaucoup mieux préparé aux combats. Il prend Sabelette de vitesse et répond d'une charge dévastatrice.
Sabelette fait un vol plané, atterrit dans un arbre et tombe dans un fourré.

Je me précipite pour le voir.
Au pied de l'arbre, une jeune fille gît. Ce n'est pas mon Sabelette.

* *
*
* *
- Alex... Tu as gagné, félicitations. J'espère pouvoir prendre ma revanche un jour.

Qui parle ?
Je ne me souviens de presque rien. J'ai mal à la tête.
Je regarde mes mains.
Mes mains ? Ce sont des mains ! Avec des doigts normaux ! Des mains d'humaine !
Le garçon me regarde bizarrement.
Je m'en fiche. Je sautille de joie, je ris, je bouge mes bras, je tourne en rond pour voir si je n'ai pas une queue de Sabelette sur les fesses, je n'en peux plus, je suis heureuse.
- Whouhouhou ! Merci ! Mille fois merci !
- Quoi ?
- Je dois aller voir le professeur. Merci, je suis de nouveau normale !
- Attends. Ce n'est pas possible.
Il m'attrape par le poignet, et me tire très fort. Il se dirige vers le labo.

- Tu me fais mal.
Il ne me répond pas.
- Réponds quelque chose...
- Tu veux que je te réponde quoi ?
- Lâche mon poignet.
Il ne m'obéit pas, il ne me répond même pas.
Il avance vite, et moi je suis complètement sonnée.
- Je... je ne me sens pas très bien...
Il s'arrête enfin. Il se met face à moi, toujours sans lâcher mon poignet, et plante son regard dans le mien.
Je rougis.
- Tu voulais aller voir le professeur, non ? Moi aussi je dois aller le voir. Alors, viens. Ce n'est plus très loin.
- Laisse-moi m'asseoir deux minutes alors, si tu veux m'y trainer de force. Je ne me sens vraiment pas bien. Je DOIS m'asseoir !
Il passe sa main derrière moi et me soulève comme une plume, mes joues s'empourprent derechef...
- Comme ça tu pourras te reposer...
Il marche vite, le regard fixé au loin.
Je baisse la tête ; trop d'événements pour moi aujourd'hui...

* *
*
* *

On sonne à ma porte, je n'attends personne (pas que je me souvienne en tout cas).
- Bonjour...
- Bonjour !
Je suis sous le choc ; devant moi se trouve Kai qui porte dans ses bras une Kathy tout ce qu'il y a de plus humaine, laquelle m'a l'air particulièrement enthousiaste.
- Kathy !
- Parce qu'en plus vous en étiez conscient ! Je crois que vous me devez des explications ! Et à elle aussi !
Il a l'air en colère.
- Vous avez vu ! Vous avez vu ! Je suis humaine ! HUMAINEUH !
Elle claironne et j'en suis très heureux.
Je les invite à rentrer, on s'installe dans le canapé.
- Vous allez tout me raconter !
Jeune et déjà autoritaire, voilà qu'un gamin me donne des ordres.
- Je voudrais savoir comment tu t'es retransformée, Kathy. C'est très important.
Il ne croit pas que je vais me plier à ses ordres non plus ? Ici, c'est MOI qui pose les questions.
- Je ne sais plus trop. Je ne me sens pas très bien...
- J'étais en plein combat Pokémon. La charge du Pokémon adverse l'a envoyée valser dans un arbre. Je l'ai retrouvée humaine à son pied.
DRING DRING DRING, DRING DRING DRING, un appel! DRING DRING DRING, DRING DRING DRING, un appel!
- Je dois vous laisser. Ecoutez, il se fait tard, je vous propose de passer la nuit ici. La nuit porte conseil. Je vais répondre à cet appel, allez vous servir dans la cuisine, la chambre et au fond du couloir à gauche.
Sauvé par le gong. Sur ces bonnes paroles, je me suis retiré. J'ai besoin de réfléchir.

* *
*
* *

Nous avons mangé, tous les deux dans la cuisine, sans un mot. Nous voilà à présent dans l'unique chambre, qui contient deux lits.
Je retire ma chemise, j'ai bien trop chaud. Je me glisse sous la couette. Elle ne s'est pas encore installée.
Je jette un coup d'œil, elle est assise sur son lit, le visage livide.
- Est-ce que tout va bien ?
- Oui... oui...
La pauvre.
- Excuse-moi d'avoir été un peu brusque et énervé.
- Ce n'est rien.
Elle a l'air triste. Je ne sais pas quoi faire.
- Bien... Bonne nuit alors.
- Bonne nuit.
Elle éteint la lumière. Je ferme les yeux.

* *
*
* *

J'ai mal, je n'arrive pas à trouver le sommeil. Je suis en sueur, j'ai l'impression que mon corps prend feu. Je me sens tellement mal... tellement mal...

* *
*
* *
J'entends un râle. Je me relève, je la vois, recroquevillée, le visage crispé.
Je me lève à la hâte. Je m'approche d'elle. Je m'agenouille à ses côtés, près de sa tête.
- Kathy... Kathy ? Est-ce que tout va bien ?
J'écarte ses cheveux de son visage. Son front est brûlant.
- Il faut que tu voies un médecin !
Tous ses muscles se tendent, se raidissent.
Devant mes yeux, son corps se met à changer. Elle devient toute blanche, comme une lumière. Sa silhouette devient plus petite, son visage abandonne sa forme au profit de celle d'un Sabelette. La lumière disparaît, des écailles recouvrent son corps.
Elle est de nouveau un Sabelette...


Son corps est toujours brûlant. Je la soulève et la serre contre mon torse. Ce contact me brûle la peau.
Je dois l'emmener dans un centre Pokémon.
Je sors de la chambre et vois de la lumière dans le laboratoire.
- Professeur Tan.
- Kai ?
Il regarde mon drôle de paquet.
- Oh... c'est Kathy ?
- Oui... Il faut l'emmener dans un centre Pokémon de toute urgence.
Il ne me pose pas de question, il ne dit presque rien.
- Viens... Je t'y emmène en voiture. Il est dans la prochaine ville.
Il agit directement, sans vraiment réfléchir. Il doit voir que c'est urgent.
Je cours chercher ma chemise et mes chaussures, je ne prends même pas le temps de les enfiler.
Nous sautons en voiture...


* *
*
* *

Il la serre contre lui, contre son torse. Je le vois, du coin de l'œil. Il la regarde, et il s'inquiète.
Je roule, vite, j'essaye d'être prudent.
Nous sommes presque arrivés.

* *
*
* *

Je ne voulais pas rentrer dans le centre Pokémon. Je lui ai confié Kathy. J'attends dehors, je marche, j'ai chaud.
J'ai renfilé ma chemise et mes chaussures et je respire l'air frais.
Non, je n'ai vraiment pas envie de rentrer dans ce centre Pokémon.

* *
*
* *

L'infirmière Joëlle revient. Kathy-Sabelette est allongée sur un petit lit d'hôpital pour Pokémon. Elle dort.
- Votre Sabelette va bien. Elle dort. La fièvre a baissé mais elle a besoin de repos.
- Merci infirmière Joëlle. Excusez-moi, je vais chercher quelque chose dans ma voiture.
- Très bien. Je vais poser le lit par là-bas. Je dois à présent m'occuper de ranger quelques papiers. Bonne soirée professeur Tan.
Je me dirige vers la porte, Kai serait très content de la voir, j'en suis persuadé. Je dois juste le trouver.

Je sors, Kai déboule de l'ombre, je sursaute. Il n'a pas été difficile de mettre la main sur lui.
- Elle va mieux.
- Ah ... très bien.
- Ne prends pas l'air de celui qui s'en fiche, j'ai très bien vu que tu te faisais du souci pour elle.
- Je ne pense pas qu'elle ait mérité ça, c'est tout.
- D'accord.
Personne ne parle, je fixe les étoiles, il fixe ses pieds.
- Belle nuit n'est-ce pas ?
- Hmm
- L'infirmière Joëlle est partie remplir des papiers, elle a dit que Kathy avait besoin de repos. Je pense que dès qu'elle sera réveillée ça ira. J'espère qu'elle dort encore, sinon elle va être un peu perdue en se réveillant...
Il ne dit toujours rien, mais il trépigne sur place.
- Oh, je dois aller retrouver mon téléphone dans la voiture, il est tombé tout à l'heure...
Je fais mine de me diriger vers ma voiture et à peine ai-je tourné le dos, qu'il se dirige vers la porte.
J'ai trouvé les mots qu'il fallait...

* *
*
* *

Elle est là. Même sous cette forme, c'est elle.
Elle ouvre les yeux. Enfin.
Elle s'assoit et me regarde. Je ne sais pas quoi dire, alors je me contente de sourire.

* *
*
* *

Je reste un peu derrière, je connais Kai et je sais qu'il n'aime pas être trop entouré.
- Votre Sabelette s'est réveillé ?
- Oui.
L'infirmière Joëlle entre dans la pièce. Elle s'était adressée à moi, elle ne l'avait pas encore vu.
- Kai ?
Elle lui a adressé la parole, tellement surprise qu'elle en a fait tomber les papiers qu'elle tenait.
Il se lève très rapidement, il baisse la tête et sort.
Il m'a adressé un regard et m'a désigné Kathy de la tête, avant de partir à grands pas dans la nuit.

L'infirmière a la mine sombre. Elle prend la température de Kathy-Sabelette et sort.
Kathy penche la tête, elle ne comprend pas.
- Tu ne peux vraiment pas parler ?
- Sa !
- Hmm. Je suis content que tu ailles mieux.
Elle essaye de se mettre debout. Je la trouve vraiment courageuse, elle avait une très forte fièvre, elle était humaine et après s'être endormie elle se retrouve Pokémon. Et malgré tout, elle est calme.
- Tu veux rentrer ?
Elle hoche la tête. Je la prends dans mes bras, et je me dirige vers l'accueil du centre Pokémon.

Un Leveinard vient nous voir. Il me tend un formulaire à signer. Je signe et il nous conduit vers la porte.

- Kai ? Tout va bien ?
- Elle va mieux ? On peut repartir ?
- Oui.

Il monte dans la voiture, Kathy se glisse à l'arrière. J'ai l'impression qu'il est déçu, mais peut-être que mon imagination me joue des tours (comme toujours).

De retour à mon labo, il file se mettre au lit, suivi de Kathy.
Il ne nous reste que quelques heures de sommeil, mais je crois que je vais bien en profiter, mes yeux se ferment tout seuls.

* *
*
* *

Je n'arrive pas trouver le sommeil. Je me rappelle du trajet en voiture où il me serait si fort contre lui. Mes pensées sont floues, ce ne sont pas des mots, juste des images. Des images de lui surtout.

* *
*
* *

J'étais exténué. Je me suis endormi tout de suite. Je n'ai pas envie de me lever. Je n'ai pas envie d'avoir cette discussion avec le professeur.
J'ouvre les yeux. Le poids que je sentais sur ma couette n'est autre que Kathy-Sabelette roulée en boule à mes pieds.
Je préfère la laisser se reposer et aller parler au professeur seul.
Je me glisse hors de mon lit et me dirige vers le laboratoire.

Il est dans son laboratoire. Il gribouille sur une feuille.
J'entre sans bruit, en refermant la porte derrière moi.
- Bonjour Professeur Tan.
- J'y ai réfléchi, encore et encore. J'ai une idée, mais toi, qu'en penses-tu ?
De quoi me parle-t-il ?
- Qu'est- ce qui déclencherait ses mutations ?
- Je... heu...

- C'est vrai, je ne t'ai rien dit. Elle est arrivée ici peu de temps avant toi, elle a glissé dans ce laboratoire, mes produits de recherches se sont presque tous renversés sur elle. Et voilà le résultat.
- Mais elle n'arrête pas de se transformer !
- D'après moi, elle n'arrive pas encore à contrôler son pouvoir. Mais je suis sûr qu'elle pourrait y arriver. J'ai l'impression qu'elle se métamorphose quand elle a une baisse d'énergie, que c'est à ce moment qu'elle ne contrôle plus son pouvoir.
Pourquoi parle-t-il de pouvoir ? C'est plutôt une malédiction pour elle !
- Elle s'est transformée une première fois quand les produits se sont renversés et qu'elle a perdu connaissance, puis une seconde fois lorsqu'elle a été assommée en rentrant dans l'arbre, puis une dernière fois quand elle a eu cette poussée de fièvre. Je pense sincèrement qu'elle pourrait être capable de maîtriser ses transformations...
- Mais ?
- Quoi, mais ?
- Je suis sûr qu'il y a un « mais » quelque part.
- Elle a besoin de s'entraîner, de trouver comment parvenir à contrôler tout ça. Elle n'a pas vraiment beaucoup de choix, ou elle vit comme ça, ce qui n'est pas l'idéal, ou elle trouve un remède, ou elle arrive à maîtriser tout ça. Mieux vaut mettre toutes les chances de son côté, et tenter les deux dernières propositions.
Il s'arrête de parler. Il me fixe dans les yeux.
- Elle aura sûrement besoin de toi.
- C'est-à-dire ?
Il soupire.

- Je pense que vous devriez partir ensemble, faire votre voyage initiatique. Je ne pense pas qu'elle doive parler de tout ça à quelqu'un, on ne sait jamais ce que les gens voudraient faire s'ils le découvraient. Tu es le seul à le savoir, de plus, je pense que tu l'apprécies déjà...
- C'est quoi ce sourire ? Vous dites n'importe quoi... Et de toutes façons, vous craignez pour vous surtout, car si quelqu'un le savait, peut-être que vous auriez des problèmes !
- Je pourrais avoir des problèmes, c'est vrai. Écoute, je m'en veux terriblement pour ce qui lui arrive. Mais toi tu peux l'aider, alors que moi je suis bloqué ici : je dois trouver quelque chose avant la fin de l'année, ou l'on me retirera ce laboratoire. Et il est tout ce qu'il me reste. Tu es jeune toi, moi je suis trop vieux pour partir à l'aventure. Je vous aiderai comme je pourrai d'ici, mais accepte de partir avec elle.
- Hmmm...
Je sors du laboratoire, je vais faire un tour dans la cour. J'ai besoin d'air frais.

J'avais juste envie de partir de ce village, pas de faire un vrai voyage initiatique. Je m'en fiche de leurs histoires de badges, de concours et tout ce qui s'ensuit. Je voulais juste découvrir un « autre part.»
Je n'y suis pour rien dans cette histoire.
Pourquoi est-ce que ça tombe sur moi ?


* *
*
* *


Il revient, après avoir passé près d'une heure dehors. Il avait besoin de réfléchir sûrement, je ne peux pas lui en vouloir.
- Où dois-je aller exactement pour trouver quelqu'un qui puisse l'aider ?
Question piège ?
- Je n'en sais rien. C'est bien ça le problème, je ne sais pas où vous devez aller, je ne sais même pas s'il y a un endroit où vous risquez de trouver quelqu'un capable de l'aider. Je n'en sais pas plus que toi. Je vais essayer de faire mes propres recherches.
Il regarde par la fenêtre, il a le regard perdu.
- Très bien. Nous partirons dès qu'elle sera debout, et prête.
Il tourne les talons et va se poser près de la fenêtre. Il est pensif, je crois qu'il vaut mieux ne pas le déranger.


J'arrive dans la chambre où ils ont passé la nuit. Kathy dort encore, roulée en boule sur le lit, toujours dans son corps de Pokémon.
Ses oreilles se dressent à mon approche.
- Bonjour. Est-ce que ça va mieux ?
- Sa !
Elle a presque l'air de bonne humeur.
- Écoute, tu vas partir avec Kai et vous allez chercher une solution à ton problème. Tout ira bien, je vous aiderai d'ici, je te le promets.
Je suis persuadé qu'elle comprend ce que je dis. Elle me regarde et hoche la tête. Je lui souris et l'invite à me suivre : nous allons rejoindre Kai dans le salon.

* *
*
* *

Ils me rejoignent tous les deux dans le salon. Kathy a l'air en forme, c'est déjà ça.
- Tu n'as pas faim ? Tu es prête ?
Négation. Approbation.
- Nous pouvons y aller alors.
- Attends, tu as tout ce qu'il te faut ? A manger, à boire, des pokéball, de l'argent ?
- Ne vous inquiétez pas.

Le professeur nous accompagne jusqu'à la porte et nous regarde nous éloigner de son palier. Il m'a l'air un peu soucieux.

Je suis content qu'elle aille mieux. Elle marche à côté de moi. Je ne sais pas comment elle fait, malgré tout, elle me paraît presque heureuse.
Je soupire. Je ne sais pas ce qui m'attend, mais j'ai un étrange pressentiment.

Cela fait plus d'une heure que nous avons quitté le laboratoire. Nous continuons de marcher. Je me rends compte qu'elle doit avoir du mal à suivre le rythme de mes grandes foulées.
- Tu... tu veux peut-être rentrer dans ta pokéball ?
Elle pousse un petit cri en secouant la tête.
Un Pokémon doit être dans sa pokéball, mais pour elle c'est différent. Ce n'est pas vraiment un Pokémon. Non, c'est complètement différent. Alors elle a raison, elle doit marcher à côté de moi.
Je ne sais pas, mais c'est comme si l'enfermer dans une pokéball revenait à lui faire renoncer à son côté humain.
Tout ça est nouveau, tout ça est bizarre. Je soupire. Elle me regarder, les yeux plein de questions.

- Ahah ! Un dresseur !
Il ne manquait plus que ça...
- Ne fais pas ton timide, allez ! Je veux un combat, et MAINTENANT !
Je m'accroupis près de Kathy et je murmure.
- Tu crois pouvoir te battre ?
- Sabelette !
Elle s'avance vers notre adversaire.
- Très bien... Je suis prêt, appelle ton Pokémon !
- Rattata ! Go !
Je donne des ordres bref, je me concentre sur le combat.
Le Rattata est plus rapide, il esquive les coups de griffe de mon Sabelette et riposte avec des charges puissantes.
Mon Pokémon réussit enfin à esquiver une attaque, il attrape la patte arrière de son adversaire lorsqu'il passe à côté de lui, le plaque au sol et griffe avec fureur.
Le Rattata est K.O
- Rrrrrrrrrrrrrr. Félicitations !
Le dresseur rappelle son Pokémon et part rapidement.
Kathy revient près de moi, satisfaite.
- Bravo.
- Sa !
Elle a l'air un peu affaiblie, elle s'est bien battue.


Durant le reste de l'après-midi, nous avons croisé trois autres adversaires. A la fin de la journée, nous en étions à deux victoires et deux défaites.
Il se fait tard à présent, il est temps d'établir un campement.
Kathy s'écroule de fatigue par terre.
J'essaye d'allumer un feu, quand j'entends un petit gémissement venant de derrière moi. Je me retourne et trouve une Kathy humaine...
Je reste bouche bée.

* *
*
* *

J'ai l'impression que je ne me ferai jamais à ces transformations. Lui non plus apparemment, il me regarde avec un drôle d'air et se retourne pour continuer d'essayer d'allumer un feu.
Je ne sais ni quoi dire, ni comment agir, alors je me contente de m'asseoir près du bois qui commence à brûler.
- Tu... tu t'es bien battue.
- Merci, tu es un bon dresseur tu sais.
Je lui réponds avec un grand sourire.
- J'aurais dû prévoir des affaires pour deux je crois... On t'achètera un sac de couchage dans la prochaine ville, tu n'as qu'à prendre le mien pour cette nuit.
- C'est gentil, je ne peux pas accepter...
- Tu dois être plus fatiguée que moi.
- Heu... d'accord.
Il est très aimable avec moi, je me sens tellement fatiguée que je n'ai pas la force de refuser son offre.
Il me tend une barre de céréales et une brique de jus de fruits.
- Désolé, c'est tout ce que j'ai pu trouver chez moi.
- C'est très bien.
On mange tous les deux en silence. J'aurais voulu parler, mais je ne sais pas quoi dire.
C'est l'heure de se coucher, il me tend son sac de couchage et s'allonge à même le sol, un peu plus loin.

Je n'arrive pas à trouver le sommeil.
- Quand tu es un Sabelette, qu'est-ce que ça te fait ?
Il n'avait pas parlé depuis le début de soirée, il m'adresse enfin la parole !
- C'est... c'est très différent. Quand je suis humaine, je peux penser tranquillement, avec des mots, une idée précise. Mais quand je suis un Pokémon, je ne vois que des images dans ma tête, c'est beaucoup plus confus. Surtout au début, j'avais beaucoup de mal à trouver mes repères. Les sensations sont très différentes aussi. Mon odorat et mon ouïe sont bien plus développés quand je suis un Sabelette, mais je ressens beaucoup moins de choses quand je touche un objet par exemple. Quant aux sentiments... on pourrait parler d'instinct, ou de quelque chose qui s'en approche. Au début, j'étais complètement perdue, je ne pensais qu'à fuir pendant le premier combat... Cet « instinct » prenait le dessus sur tous mes autres sentiments. Une fois que j'arrive à contrôler ça, c'est bien plus facile et...
Il s'est approché de moi, il me regarde avec de grands yeux. Il est assis juste là, près de ma tête, son visage éclairé par la lune.
- Et ?
- Cela me fait bizarre de parler de ça, pardon je me suis un peu égarée.
- Je n'aurais pas dû t'embêter avec mes questions. Excuse-moi. C'est juste que... que quand tu es un Pokémon... enfin... je me posais juste des questions c'est tout.
Le silence est retombé, il s'est de nouveau éloigné.
Je baille, et m'endors...

Un rayon de soleil me brûle le visage. Je m'assois,  constate que Kathy n'est plus là et que mon sac est ouvert à côté.
- Qu'est-ce que...
- Aya !
Où Kathy a-t-elle pu disparaître ? Et qui vient de crier ?
Il y a du bruit un peu plus loin, je me lève, enfile mes chaussures et m'approche de la source de se raffut.
Je n'en crois pas mes yeux. Je vois une Kathy recouverte de poussière, en train de se battre contre un Osselait. Mais une Kathy HUMAINE !
- Mais qu'est-ce que tu fiches ?
- Je... quand je suis humaine, tu n'as plus de Pokémon. C'est de ma faute si tu ne peux pas partir tranquillement, alors pour me faire pardonner, je voulais t'attraper un...
Le Osselait vient de l'assommer. C'est de ma faute, je l'ai distraite. Elle tombe dans les pommes, ce qui signifie qu'elle va très certainement se transformer en Sabelette, selon la logique du professeur.
Je m'interpose entre elle et le Pokémon sauvage, elle est bien trop vulnérable durant ses transformations.
Il a l'air très énervé et commence à m'attaquer.
Kathy-Pokémon a fini de se transformer et tente de se relever, encore faible.
Je dois distraire le Pokémon...

* *
*
* *

La scène se déroule devant mes yeux de Pokémon et se grave en images dans ma tête. Des images sans mots.
Kai fait des petits bons de côté, pour détourner l'attention du Osselait. Le Pokémon lui lance son os-matraque et Kai le reçoit en pleine tête. Du sang coule de son nez.
Il attrape une grosse pierre et la fracasse sur le crâne du Pokémon, qui se met à pleurer à chaudes larmes.
- Pokéball go !
La ball bouge une fois, deux fois et puis plus rien.
Un mot se forme dans ma tête, très fort. Cette surprise fait trembler tout mon corps de Pokémon...
Un mot et un seul : sang.

* *
*
* *

Elle s'approche de moi, un peu chancelante. Elle tend la patte vers mon visage, je me penche. Une goutte de sang perle sur sa griffe. Je comprends ce qu'elle essaye de me dire : elle est désolée.
- Tu n'aurais pas dû faire ça, c'était dangereux. Il aurait pu t'arriver quelque chose de grave si je n'avais pas été là. Je ne t'en veux pas d'être mon Pokémon, j'en suis même plutôt... heureux... Ton intention était gentille, merci.
- Sabelette !
Elle retourne vers notre campement en courant. Je la suis. Elle fouille dans mon sac et en ressort, un mouchoir sur le museau.
Elle essaye de le tenir dans sa patte, entre ses griffes, mais le mouchoir se déchire. Elle recommence encore une fois, mais le mouchoir se déchire encore, elle en attrape un troisième, je l'interromps.
- Tu vas me vider mon stock de mouchoirs, nous pourrions encore en avoir besoin. Je vais le faire, ne t'en fais pas. Merci.
Je sens sa frustration. C'est la première fois qu'elle essaye véritablement d'agir comme une humaine sous sa forme de Pokémon. Sa bonne humeur habituelle l'a quittée, elle a l'air triste.

- Ce combat a dû te fatiguer, tu devrais rester ici un petit peu. Comme ça tu peux surveiller mes... nos affaires. J'ai repéré un buisson de baies, je vais aller en cueillir quelques-unes pour le petit déjeuner.
Elle ne répond rien.
Je m'éloigne un peu.

Je suis de retour au campement, une petite demi-heure plus tard.
Un petit garçon est assis près de Kathy. Ils font rouler une balle entre eux.
- Qui es-tu ?
- Ton pokémon n'est pas très joueur !
- Il n'est pas de très bonne humeur en effet... Tu ne m'as pas répondu...
- Je m'appelle Nezu ! Ravi de faire ta connaissance !
- Et qu'est-ce que tu fais ici ?
- Je me suis perdu et j'ai vu ton Pokémon avec le sac à dos. Je me suis dit que tu pourrais m'accompagner... Tu vas à Kitakaze ?
Que dois-je lui répondre ? Il a l'air petit, il n'a rien pour se protéger... Quand je vois l'état de mon nez après une attaque de Pokémon sauvage, je ne peux guère le laisser seul.
- Oui. Je ne me suis pas présenté, je m'appelle Kai. Et elle c'est...
- Kathy !
- Mais... comment tu...
Il rit. Son rire est cristallin, il a quelque chose d'étrange. Il s'éloigne vers le bois.
- J'ai soif ! Il y a un petit ruisseau par-là! On est partis les amis !
Il avance, d'une démarche sautillante.
Je veux le suivre, mais Kathy tire mon bras.
- Sabelette !!!
Elle essaye de me dire quelque chose.
- Je ne comprends pas. Plus tard !
- SABELETTE !!!
Elle crie et se jette sur mes jambes. Je tombe à terre.
- Mais qu'est-ce qu'il te prend ?
Elle fouille dans mes poches, en sort la pokéball contenant le Osselait et s'éloigne dans la direction opposée.
Je reste sonné une minute, avant de me lever et de la suivre à grandes foulées.



Je la rejoins enfin. Elle est là, Osselait en face d'elle. On dirait qu'ils discutent.
- Sabelette !
- Osselait !
Elle est en colère et lui se met à pleurer. Elle attrape son os et se frappe violemment la tête. Elle s'apprête à recommencer, mais je l'arrête.
- Ne fais pas ça ! Tu veux te retransformer en humaine, c'est bien ça ?
Approbation.
- Ecoute, ce gamin est bizarre. Comment connaît-il ton nom ? Si tu te transformes en humaine, il va se demander d'où tu sors. Il faut que tu restes en Pokémon pour l'instant. Et s'il te plait, ne te fais pas de mal volontairement pour redevenir humaine.
Je ramasse ma pokéball, et attrape mes deux Pokémon. Je hisse Kathy sur mes épaules et prends Osselait dans mes bras. Je cours dans la direction où a disparu Nezu...

- Nezu ! NE-ZU !!!
Il n'est pas au bord du ruisseau. Je l'appelle.
- Te revoilà !
Il surgit d'un buisson, un sourire aux lèvres, mais ses yeux sont rouges comme s'il avait pleuré.
- Tu as pleuré ?
- J'ai eu peur tu sais, tu n'étais plus derrière moi. Tiens, ton autre Pokémon.
Il s'approche de mon Osselait et lui gratte le menton.
- Comment connaissais-tu le nom de mon Sabelette ?
- Je ne sais pas, elle ressemble à Kathy, alors je l'ai appelée comme ça quand tu n'étais pas là, et ça a semblé lui plaire. J'ai mal fait ?
Il semble peiné.
- Non, non. Elle s'appelle comme ça... Mais...
- J'ai faim !
Il n'a pas l'air d'avoir envie de répondre à des questions. Nous revenons dans la clairière et nous asseyons en cercle. Je distribue des baies à mes trois compagnons. Ils semblent tous ravis.
Je ne sais pas ce que je fais là. Je voulais partir, fuir. Et je me retrouve ici, avec un enfant perdu et une jeune fille maudite. Je me retrouve ici, à vouloir les aider.
Je ne sais pas où aller. Certainement à Kitakaze pour commencer. J'aviserai par la suite.


- On va vraiment à Kitakaze alors ? Vous voulez bien m'y emmener ?
- Nous y allons. As-tu une carte, ou quelque chose ? Je ne sais pas vraiment comment me rendre dans cette ville...
- Une carte ? Non. On m'a volé mon sac, j'ai eu très peur. Et je t'ai trouvé, c'est bien hein ?
Il me sourit. Il a l'air heureux. Il est encore très jeune, et insouciant.
- Il y a une ville dans cette direction je crois. Commençons par aller là-bas.
- D'accord !
Il part sur le petit sentier, en fredonnant. Je le suis, avec Kathy toujours sur mes épaules et Osselait trottant à côté de moi.



Devant moi, Nezu trébuche et tombe par terre. Je m'approche pour l'aider à se relever ; il a trébuché sur un bébé Nidoran F, qui pleure.
- Ohoh....
- Quoi ?
- Regarde ! Il y a toute sa famille qui arrive ! Ils sont mignons, mais ils n'ont pas l'air très content.
Devant nous apparaissent un Nidoqueen, un Nidoking, un Nidorino et deux Nidorina.
Je rappelle Osselait et attrape Nezu sous mon bras.
- Kathy, accroche-toi !
Je me retourne et cours à travers la forêt, loin du sentier.
- C'est drôle, ça me rappelle cette histoire, tu sais, dans le livre que Sacha Ketchum a écrit. Il en a vécu des choses ! Tu sais j'ai lu les trois premiers tomes de ses aventures. Ça lui est vraiment arrivé tout ça ? Et puis d'accord, des Piafabec qui sortent des arbres, mais là, moi je ne les avais pas vus dans la forêt, ces deux énormes Pokémon ! Pourtant, ils sont immenses et...
Nezu continue de parler. Sacha...
Je me vide la tête et me concentre sur mon allure. Derrière-moi, j'entends les rugissements des Pokémons, et mes compagnons ne facilitent pas mon avancée.

- Ils se rapprochent Kai. J'ai peur tu sais, je suis content que tu sois là.
Ils sont juste derrière-nous. Je commence à ralentir. Je ne sens plus mes jambes, les branches me griffent le visage et j'essaye de protéger mes deux amis pour qu'ils ne soient pas blessés par cette végétation bien trop luxuriante à mon goût. Je n'ai plus l'impression de voir le décor, j'essaye juste de courir, sans m'arrêter.
- Un fleuve !
Le cri de Nezu m'a reconnecté à la réalité. Mais il est trop tard. Le Nidoking utilise l'une de ses puissantes pattes pour me frapper, en plein dans le dos. Je m'écroule.
J'attrape Nezu et lui colle Kathy dans les mains, avant de le jeter avec la force qu'il me reste dans le fleuve.
- Sauvez-vous !
Je n'ai pas le temps de savoir comment ils vont. Je suis déjà entouré par la famille du Nidoran au grand complet.
Je me relève difficilement, la blessure dans mon dos me déchirant le corps. Je me tords de douleur, je ne peux pas lutter, mais surtout je ne peux pas fuir.
J'entends le cri d'un Pokémon et voit une ombre descendre sur moi, mais la douleur me fait partir.
- Kai, c'est bien toi? Roucarnage, attaque cyclone !
Je n'ai que le temps d'entendre une voix, avant de sombrer...

- Sabelette !!!
Une horrible douleur irradie mon dos. J'ouvre les yeux, et vois Kathy penchée près de mon visage, l'air inquiète.
- Kathy, Nezu... Tout va bien ? Que s'est-il passé ?
- Je vais bien pour ma part et Kathy trépignait d'impatience en attendant ton réveil, alors je pense qu'elle va bien aussi.
- Je suis désolé de vous avoir jetés dans le fleuve.
- Ne t'en fais pas ! Je suis un bon nageur ! Et le courant n'était pas très fort.
Nezu sourit. Je suis rassuré. J'essaye de me lever, mais une main me retient.
- Tu ne devrais pas te lever...
Je me retourne et voit son visage. Non, ça ne peut pas être lui.
- Tu as vu, j'ai rencontré l'auteur du livre dont je t'ai parlé...
- Sacha...

C'est trop. Tout ça, aujourd'hui, je n'en peux plus. Je me lève et, malgré la douleur, je m'éloigne. Je veux partir, loin.
Pourquoi personne ne m'a laissé fuir tout ça ? Pourquoi est-ce que mon passé revient encore ?

* *
*
* *

Il s'enfuit, il part. La blessure dans son dos, je l'aie vu, et je ne peux qu'imaginer la douleur qu'il ressent.
Moi je suis heureux, je viens de me trouver deux amis et je viens de rencontrer l'auteur de mon livre préféré. Mais je ne comprends pas pourquoi Kai part. Sacha lui a sauvé la vie ! Il est arrivé et avec ses Pokémon, il a chassé la famille du Nidoran. Et il nous a aidés, Kathy et moi, à sortir de l'eau.
Mais Kai l'a vu et il est parti. Il ne l'a même pas remercié, il n'a pas attendu qu'on lui explique.
Depuis le début, il m'a semblé bien mystérieux, avec ses cheveux blancs dans tous les sens, son piercing en haut de l'oreille et son regard toujours un peu dans le vague.
Kathy s'est lancée à sa poursuite. Sacha a voulu faire de même, mais elle l'en a empêché. Décidemment, je ne comprends rien. Il va me falloir un peu de temps pour avoir les réponses.

* *
*
* *

Je cours, avec une image dans ma tête : le regard qu'il a eu en apercevant Sacha. Je voudrais comprendre. Tout est confus dans ma tête de Pokémon, des images défilent dans mon esprit : Nidoran, le fleuve, Sacha, la blessure, le regard... Et ça recommence.

J'arrive dans une clairière, petite mais lumineuse. Il y a plein de fleurs, qui dégagent un parfum envoûtant. Il ressort de cet endroit une ambiance paisible et reposante. Et il est là, assis contre un arbre, me tournant le dos.
Je vois ses mains qui tremblent légèrement et je m'approche en silence.

- Je suis désolé d'être parti comme ça. J'avais besoin de calme. Tu peux t'asseoir près de moi si tu veux. Merci de ne pas l'avoir laissé venir.
Il a tout de suite su que j'étais là. On dirait qu'il n'a pas besoin de mots pour comprendre.
Mais moi j'ai envie de lui poser des tas de questions, malheureusement mon corps actuel ne me le permet pas. Il n'a pas l'air d'avoir envie de parler ; il rejette sa tête en arrière et ferme les yeux.
Je m'assois près de lui et attends, patiemment. Le silence s'éternise, seulement rythmé par nos deux respirations.
Les minutes s'écoulent, sans que rien ne se passe. Il se décide enfin à bouger, juste un peu, légèrement. Mais son corps se crispe soudainement.
Il se lève, la démarche un peu chancelante et part vers le fleuve, mais pas dans la direction où se trouvaient Sacha et Nezu.
Je le suis, sans qu'il y prête la moindre attention. Il court presque...

* *
*
* *
Aaaaaahh... J'ai envie de hurler. La blessure est encore toute fraîche. Un seul faux mouvement, et j'en paye le prix fort.
J'arrive près du fleuve, je retire ma chemise et me plonge dans l'eau. Dans l'eau fraîche... N'importe quoi qui puisse calmer la douleur.
Le courant est très faible à cet endroit et l'eau n'est pas profonde, elle m'arrive au nombril. Je m'y plonge entièrement, je ferme les yeux et j'attends, aussi longtemps que mes poumons me le permettent.
J'aime ce contact, et cette sensation. Le liquide caresse ma peau, et me berce. Mais surtout, tous les bruits du dehors sont étouffés. J'ai l'impression d'être ailleurs, autre part que la réalité.
Je rouvre les yeux et constate que Kathy est là, près de l'eau, et qu'elle s'agite en me regardant. Je ressors doucement ma tête et prend une grande bouffée d'air. Je me lève, calmement, essayant de ne faire aucun mouvement qui pourrait raviver la douleur.
- Sabelette, sabelette, sa...
Elle parle, sans s'arrêter, comme si elle voulait me gronder.
- Est-ce que ça va ?
Sacha arrive et interrompt son discours. Je n'ai aucune envie de le voir. Il n'a pas le droit d'être là. J'aurais pu voir n'importe qui, mais c'est lui qui est là. Et c'est lui que je ne veux pas voir.
- Qu'est-ce que tu fiches ici ? Rentre chez toi !
- Ne t'énerve pas ! Si je n'étais pas arrivé, tu serais dans un bien piteux état...
- Va-t-en !
Je hurle. Je n'en peux plus... Tout arrive si vite, c'est trop pour moi. Je craque.

* *
*
* *

- Va-t-en !
Kai crie, sous le regard éberlué de Kathy. Il est en face de Sacha, et le regarde, méchamment.
Ce n'est pas comme ça qu'on remercie quelqu'un qui vient de vous sauver la vie ! Kathy s'approche doucement de moi.
Elle ne sait pas et elle me regarde, à la recherche de réponses.
- Tu verras. Je ne suis pas sûr d'avoir raison.
Je lui murmure quelque chose à l'oreille. Les réponses, je les ai comprises en les voyant.
Elle me connaît. Elle a forcément un rapport avec la Kathy que je connais. Et la Kathy qui était mon amie sait que je connais les réponses.
Pourtant je ne le fais pas exprès. Je sais la vérité, sans m'en rendre compte. C'est pour cela que je dois aller à Kitakaze. Là-bas, je trouverai la seule réponse que je ne connais pas, je trouverai le « pourquoi ».

* *
*
* *

- Arrête de m'en vouloir ! Ça s'est passé il y a dix ans !
Je ne peux qu'observer, ma forme ne me permettant pas d'intervenir par la parole.
- La ferme !
Kai s'approche de Sacha. Il l'attrape par le col. Je n'avais jamais remarqué ça auparavant, mais il est très musclé. Sacha est bien plus âgé que lui. Du haut de sa quinzaine d'années, il arrive pourtant à le menacer.
- Calme-toi !
Sacha le repousse. Mon corps de Pokémon frissonne, j'ai un mauvais pressentiment.
Ils commencent à se chercher, ils se regardent, froidement. Chacun a les poings serrés.
Malgré tout, Sacha garde de la distance. Mais Kai a l'air vraiment en colère. Il roule ses épaules, et charge...
Un coup de poing dans le nez de Sacha. Du sang coule. Sacha riposte : coup de coude dans l'estomac. Ils se battent ! Kai fait une clé de bras à Sacha, qui lui attrape la jambe. Ils tombent à terre, se griffent, frappent. Ce n'est qu'un chaos. Ils se relèvent, Sacha essuie le liquide qui coule de son nez et Kai crache le sang qui emplie sa bouche.
ASSEZ ! J'ai envie de hurler, mais je ne peux pas, pas sous cette forme.
Mais c'est plus fort que moi, alors je hurle et je me précipite.
A ma grande surprise, un cri sort de ma bouche, un cri humain, et ce sont des jambes qui me portent jusqu'aux deux garçons.

* *
*
* *

- ASSEZ !
Kathy hurle. Elle hurle ? Oui, elle a reprit forme humaine. Elle s'écroule, à genoux, entre Sacha et moi. Et elle se met à pleurer.
Je m'approche d'elle.
- Non ! Ne t'approche pas !
Elle me repousse. Sacha reste figé sur place. Nezu, lui, s'approche. Il sourit, et je l'entends marmonner :
- J'avais raison, hihihi. Ça ne m'étonne plus, mais tout de même, j'avais raison !
Il s'agenouille près d'elle et elle le sert dans ses bras, avant de continuer de pleurer.

J'ai moi aussi très envie de pleurer à présent. Mais je dois être fort. Et surtout, je ne veux pas que Sacha me voie comme ça.
Je regarde mon adversaire. Du sang coule de son nez, et il a un œil au beurre noir. Son bras est un peu écorché et ses jambes sont couvertes de bleus. J'esquisse un petit sourire.
Je ne dois pourtant pas être dans un meilleur état.

- Kathy...
Elle pleure un peu plus fort.
- Kathy écoute moi...
- Oh oui je vais t'écouter ! Je vais t'écouter TOUT m'expliquer !

J'attends. Je le regarde fixement dans les yeux et j'attends qu'il parle. Il soutient mon regard un moment, puis détourne la tête et ses yeux se perdent dans le vide.
Sacha s'approche de nous.
- Je... je ne peux pas...
Et Kai part dans la forêt.

- Les journées sont riches en émotions avec vous, hihihi.
Nezu sourit, ses yeux formant deux amandes.
Je le connais depuis plusieurs années déjà. C'est un petit garçon très étrange. Il semblerait en effet qu'il comprenne les gens, qu'il sache plus ou moins ce qu'il leur est arrivé sans que personne ne parle. C'est assez compliqué à expliquer.
Cela fait plusieurs mois que je ne l'ai pas vu, il a un peu grandi.
Il n'a que huit ans et mesure environ une tête de moins que moi, qui ne suis pourtant pas bien grande. Il a des cheveux très foncés et la peau très pâle, ce qui contraste énormément.
Son visage est rond, ses yeux gris, aux reflets violets.
Je l'ai rencontré à Mukashi, là où je suis née, il y a 4 ans. Il était perdu et ne se rappelait de rien. Il a été recueilli par un policier peu de temps après et a été conduit presque un an plus tard à Hajime, là où se trouve le laboratoire du professeur Tan.

- C'est bien étrange tout ça...
Sacha interrompt ma rêverie sur l'enfant.
- Cela fait dix-sept ans que j'ai quitté le Bourg-Palette, que j'ai voyagé à travers le monde et jamais je n'ai vu de cas semblable. Tu t'es... transformée... ?
- Je... Je... Oui, je me suis transformée.
Je n'arrive pas à retenir la larme qui coule sur ma joue en pensant à mes métamorphoses.
- Je suis désolé. Je t'ai peut-être offensée ?
- Non, ne t'en fais pas.
Il pose sa main sur mon épaule et me regarde avec une expression pleine de compassion.
- Cela fait longtemps que... tu te transformes ?
- Depuis deux jours.
- Et tu n'arrives pas contrôler ce... pouvoir ?
- Non. Les fois précédentes, quand je me suis transformée, c'était dû à une baisse d'énergie. Mais cette fois-ci n'avait rien à voir, du coup je ne sais plus trop...
Je soupire.
- Je suis désolé.
Le silence s'installe.

Au bout de plusieurs minutes, je me tourne vers Sacha.
- Pourquoi est-ce qu'il t'en veut ?
- Ce n'est pas à lui de te le dire !
Kai m'interrompt. Il s'approche de Sacha et moi, et serre le poing. Du sang coule sur ses phalanges...
Je murmure :
- Qu'est-ce que...
Mais il cache sa main derrière son dos et se plante devant son ancien adversaire.
- Dis moi ce que tu fais ici.
Il essaye de se contenir. Je le sens.
- Je dois rendre visite à un ami du professer Chen, à Hajime. J'ai une lettre à lui remettre, et le professeur Chen aimerait que je me renseigne sur ses travaux.
- Le professeur Tan ?
- Exactement. Vous le connaissez ?
Kai reste silencieux. C'est moi qui réponds à Sacha.
- Comment dire...
- Je n'insiste pas. Je crois qu'il est temps pour moi de partir, sinon je ne serai pas de retour à Bourg-Palette avant la nuit. Roucarnage go !
Il rappelle son Pokémon oiseau sur lequel il est arrivé. Nezu lui attrape la manche.
- Je croyais que tu avais laissé ton Roucarnage ?
- C'est vrai que tu lis mes livres ! Ahah ! J'ai retrouvé mon vieil ami, qui revient faire un bout de route avec moi.

Le Roucarnage effectue une cascade aérienne, avant de venir se poser au sol et de baisser son aile pour permettre à son dresseur et ami de monter sur son dos.
- Attends.
C'est Kai qui a parlé, à la grande surprise de Sacha.
- Promets-moi de ne rien dire, au sujet de Kathy, à quiconque. Même à Chen.
- Très bien.
Sacha grimpe sur Roucarnage.
- Même à ma mère... Ne lui dis pas que tu m'as vu. S'il te plait.
Sacha essaye de fixer son regard, mais Kai tourne la tête.
- Très bien. Au revoir les amis, à une prochaine fois peut-être...
Et Roucarnage prend son envol.

* *
*
* *

Il est enfin parti.
J'espère qu'il tiendra sa promesse. Sinon les choses pourraient mal tourner pour Kathy. Et en ce qui concerne ma mère... Je n'ai pas envie de penser à ça.
- En route ! La nuit tombe bientôt, on n'a presque plus rien à manger, et je n'ai qu'un sac de couchage alors que nous sommes trois. Nous avons plutôt intérêt à atteindre la prochaine ville avant que le soleil ne soit couché.
Je récupère mon sac à dos posé un peu plus loin et avance.

J'ai été complètement stupide. En plus de la blessure dans mon dos, j'ai les genoux bien abîmés, des horribles bleus partout, et surtout je me suis explosé le poing en frappant le tronc d'un arbre. Je n'ai pas réussi à maîtriser mon excès de colère et maintenant, ma main me fait elle aussi souffrir.

Ce voyage commence vraiment très bien...

Kai ne parle pas. Il marche, la tête haute et le regard perdu au loin. Je l'observe, essayant de percer le secret de ses sentiments.
Il mesure presque une tête de plus que moi. Il est mince, mais musclé. Il a de longues jambes qui lui permettent de marcher à grandes foulées souples. Son torse a l'air solide, malgré les bleus qui le recouvrent, dûs à son affrontement avec Sacha. Ses bras sont longs, mais bien bâtis, terminés par des mains fortes aux doigts fins. Sa tête est légèrement allongée, recouverte d'une chevelure blanche. Des mèches encadrent son visage, mais ses cheveux sont plutôt coupés court. Ses yeux sont d'un bleu très clair et profond, son nez est quelque peu pointu et ses lèvres étroites.

Il ne s'arrête pas, et ne nous regarde pas. Je ne sais même pas s'il a remarqué que je l'observais.
Le mystérieux garçon marche devant nous, quelques pas plus loin. Je calle mon rythme sur celui de Nezu et lui murmure :
- Dis, à quel âge Sacha a commencé son voyage ? Il doit bien le dire dans son livre ?
- A dix ans. Pourquoi ?
- Et à ton avis, quel âge à Kai exactement ?
- J'ai quinze ans.
Nezu et moi sursautons. Nous ne pensions pas qu'il nous entendait et sa voix nous a surpris.
Le jeune enfant et moi nous regardons dans les yeux, interpellés : cela faisait plus d'une heure qu'il n'avait pas parlé et la seule voix autour de nous était celle de Nezu qui fredonnait.

Je calcule rapidement dans ma tête :
Sacha a dit qu'il était parti il y a dix-sept ans, donc il est âgé de vingt-sept ans. Ensuite, Sacha a dit que ce qu'il s'est passé entre Kai et lui avait eu lieu il y a dix ans. Donc Kai  en avait cinq et Sacha dix-sept. J'aimerais vraiment savoir ce qu'est cette histoire...


* *
*
* *

La nuit commence à tomber, petit à petit. Nous devrions nous dépêcher.
- Regardez ! Les premières lumières de la ville !
Nezu a crié. Kathy et moi regardons dans la direction qu'il nous indique avec son doigt : au-dessus des arbres, en contrebas, j'aperçois le dôme d'un centre pokémon, et les lumières des premières maisons. Nous touchons au but, il ne faut juste pas ralentir la cadence ; dans l'obscurité il est bien difficile de marcher.
Le garçon se met à courir, suivi de Kathy. La suite du chemin est en pente, il devrait faire attention.
- Je cours plus vite que toi nananananère !
Nezu provoque Kathy, je la vois accélérer pour le rattraper, mais dans la nuit tombante, elle ne voit pas les imperfections sur le sentier, et elle trébuche...
Il y a à nouveau cette lumière et la silhouette de son corps qui change pour laisser place à un Sabelette.
Je soupire ; rien n'est terminé.

Je m'approche de Kathy et m'accroupis. Elle me regarde, les yeux mouillés comme si elle allait pleurer.
Je tends mon bras vers elle, pour qu'elle puisse grimper sur mes épaules. Elle se hisse sans difficulté.
- Nous n'avons pas une minute à perdre.

* *
*
* *

Kai nous regarde froidement, Kathy et moi. A peine Kathy s'est-elle installée sur ses épaules, qu'il se remet en route.
Nous entendons du bruit derrière nous. Kai met son doigt sur ses lèvres pour me dire de ne pas faire de bruit.
- Cache-toi sur le bord de la route. Je n'ai pas envie de recroiser cette famille de Nidoking ! Attends-moi là, je n'en ai pas pour long.
Il me colle Kathy dans les bras et il se faufile entre les arbres, en de longues foulées silencieuses.

J'attends plusieurs minutes, mais Kai ne semble pas revenir. La nuit s'installe et je vois de moins en moins loin. Je commence à avoir très peur...

* *
*
* *

Je me suis éloigné de Kathy et Nezu, pour me rapprocher des voix.
Ils sont tout un groupe de jeunes adultes. Ils sont bruyants et bien qu'ils soient encore à une distance raisonnable de Nezu, le garçon doit très certainement les entendre distinctement.
Ils sont grands, avec des bras très musclés et une sorte de barre de fer sur leur épaule pour la plupart. A la ceinture de l'un d'eux est attaché un couteau.
- Bon les gars, faut qu'on atteigne la ville vers deux heures, quand tout le monde dort, comme ça personne ne nous causera de problèmes. Je n'ai pas envie de retomber sur l'agent Jenny comme la dernière fois ! Bon Steeve, fais-nous un récapitulatif de ce dont nous avons besoin, on ira le piquer là on trouvera !
Des voleurs... Et ils n'ont pas l'air rassurants. Il faut que je me dépêche de rejoindre Nezu, et d'atteindre la ville. Je dois prévenir la police et surtout mettre Kathy et lui en sécurité.
Je commence à partir, mais je marche malencontreusement sur une brindille.
- Vous avez entendu ?
Comment peuvent-ils entendre le craquement d'une brindille avec tout le boucan qu'ils font ? Déjà deux des hommes de cette bande s'approchent de moi, j'ai à peine le temps de réagir ; j'appelle Osselait et le pousse en dehors de ma cachette.
- Osselait !
En apercevant les deux voyous, mon pokémon prend peur et file se cacher plus loin, en pleurant.
- C'est rien, c'est juste un Pokémon ! Il est parti dans la forêt ! Il avait l'air faible et insignifiant, chef, rien de nécessaire ! Il ne nous aurait été d'aucune utilité !
- C'est moi qui décide s'il aurait été utile ou non ! Allez le chercher ! et tout de suite !
- Oui... Oui P..p..patron !
Mon Osselait ! Je dois faire quelque chose, mais je les aperçois tout près de moi, et je ne peux pas sortir de ma cachette !
Les deux individus que le chef vient de secouer s'éclipsent dans la forêt, pendant que le groupe se remet en marche.
Je dois tout d'abord sauvez Nezu et Kathy, et ensuite partir à la recherche d'Osselait. Je cours dans la forêt, prenant confiance au fur et à mesure que je m'éloigne du groupe. Je me permets d'allonger mes foulées, ayant moins peur de les attirer par le bruit.
J'arrive bientôt près de mes deux compagnons. Je leur murmure :
- Partons, sans traîner.
Nezu tremble et Kathy essaye de le rassurer. Le garçon se blottit contre moi et sanglote, en faisant bien trop de bruit. Comme lors de notre course contre les Nidoran, je l'attrape et le tiens sous mon bras ; Kathy, elle, se saisit de sa pokéball, et se cache dedans.
« Merci... » Elle fait ça pour que j'ai moins de difficulté à courir, elle doit sentir le danger grâce à son instinct.
- Ils vont nous faire du mal, Kai...
Nezu murmure, entre deux sanglots.
- Ne t'inquiète pas...
Et sur ses mots, je m'élance à travers les arbres, ayant trop peur d'être vu si je réintègre le sentier.

* *
*
* *

Il court. Aujourd'hui, il n'aura fait que ça. La journée a été vraiment longue, et je suis très fatigué. Mais je dois tenir, je dois être fort comme Sacha, et comme Kai !
J'ai entendu des voix et puis je l'ai senti, comme d'habitude. Quand Kai est revenu, j'ai compris : il y a certaines personnes qu'il ne vaut mieux pas croiser.
Je ne suis pas bien lourd, mais quand même, je suis impressionné de l'aisance avec laquelle Kai me porte.
Sur son bras ses veines ressortent. La lumière de la lune me permet de voir son visage ; il est crispé par l'effort et des perles de sueur coulent sur son front. Mais il ne s'arrête pas.
Les lumières de la ville se font de plus en plus proches, nous touchons au but. La respiration de Kai couvre quelque peu les voix au loin ; nous gagnons de la distance à chaque pas.
Il s'arrête et respire tant bien que mal.
- Enfin... soupire-t-il.

Il monte les escaliers menant au centre Pokémon et me repose par terre,  une fois arrivés devant la grande porte.
Un Pokémon rose, que Sacha a déjà décrit dans ses livres, vient nous accueillir : c'est un Leveinard.
Kai me donne la pokéball contenant Kathy et s'agenouille pour me glisser à l'oreille :
- J'ai une course à faire. Je n'en ai pas pour longtemps. Allez vous reposer avec Kathy, la journée a été longue. Vous avez intérêt à vous trouver là quand je reviens...
Et il se retourne pour partir.
- Et où va ce jeune homme ?
- Hum hum...
Une infirmière apparaît prêt du Pokémon rose et je ne peux être que surpris :
- C'est drôle, dans son livre Sacha décrit toutes les infirmières Joëlle de la même manière, et vous ne leur ressemblez pas du tout !
- Nezu, de une arrête de parler de Sacha et de son foutu bouquin, et de deux ne soit pas impoli !
L''infirmière rit, et moi je rougis.
- Excusez-moi, je ne voulais pas vous manquer de politesse...
- Ce n'est rien ! Et pour ta question, les infirmières Joëlle étaient une grande famille et elles se ressemblaient toutes plus ou moins. Mais il y a quelques années, elles ont pris petit à petit leur retraite et nous les avons remplacées. Nous ne sommes pas une seule famille, nous ne nous ressemblons pas et ne ressemblons pas non plus aux anciennes infirmières, mais nous avons gardé le nom « d'infirmière Joëlle », comme une tradition.

Kai a les yeux perdus dans le vide et dans ma tête les pièces du puzzle s'assemblent : je comprends de mieux en mieux son histoire...
- Revenons-en à nos moutons ! Tu ne vas nulle part à cette heure-ci, jeune homme !
- Je dois rendre visite à un ami, mais je laisse mon frère ici, pour qu'il se repose.
- Non tu restes là, je ferme les portes et tu ne bouges pas d'ici !
Elle se dirige vers un bouton pour verrouiller les portes, le bras de Kai retenu par le Leveinard. Mais Kai ne l'entend pas de cette oreille, il chatouille le Pokémon, qui de surprise le lâche, et fuit par la porte encore ouverte.
- Reviens ici tout de suite !
Mais Kai est déjà loin dans la nuit...

* *
*
* *

Je sors si j'en ai envie. Elle ne m'enfermera pas. Et puis je n'aime pas les centres Pokémon. J'arrive près du commissariat et déboule dans le hall.
L'agent endormi au bureau sursaute. Il marmonne, encore assoupi :
- Je peux vous être utile ?
- J'ai vu une bande de voyous sur le chemin menant à cette ville, je les ai entendus parler de venir voler certains objets. J'ai cru bon vous prévenir...
- Hum...
Il n'a pas l'air convaincu.
- J'appelle mon supérieur, attends ici.
Il m'indique un siège. Je m'y assois, et patiente Une minute, puis deux, puis dix... Enfin, le policier revient, accompagné d'une grande dame en uniforme.
- Agent Jenny pour vous servir !
- Madame, je vous prie de me croire ! Je les ai vus ! Ils avaient des barres de fer et l'un d'eux portait un couteau à sa ceinture ! Il faut prévenir les habitants. Ils ont dit qu'ils viendraient dans la ville vers deux heures, quand les gens dormiraient.
Je parle, très rapidement, je m'essouffle, mais je n'ai pas une minute à perdre, je dois encore aller chercher Osselait.
Elle s'adresse à l'homme qui m'a accueilli :
- Envoie une patrouille et demande aux autres d'aller prévenir les habitants qui vivent un peu en dehors de la ville. Je vais passer une annonce au micro, en espérant que les gens l'entendent. Quant à toi, retourne chez toi, ou au centre Pokémon, et va t'abriter !
- Très bien. Merci !
Elle m'accompagne jusqu'à la porte et m'observe. Je prends la direction du centre, mais dès que je suis hors de vue, je bifurque.
J'ai fait ce que j'avais à faire ici, mais à présent, je dois aller retrouver mon Pokémon.

Je cours sans m'arrêter et je laisse les lumières de la ville derrière moi. Je cours à l'aveugle quelques longues secondes, le temps que mes yeux s'acclimatent à l'obscurité.
Je ne sais pas où se trouve mon Osselait, mais jamais je ne le laisserai à ses bandits. J'évite les obstacles tout en essayant de faire le moins de bruit possible.
La faible lueur de la lune éclaire la cime des arbres, mais peu de lumière atteint les sous-bois. C'est pourtant une belle nuit ; la lune est pleine et éclatante, le ciel est d'un bleu très foncé et des étoiles parsèment le firmament... Mais je n'ai pas le temps de profiter de ce beau paysage : je dois retrouver mon Pokémon avant les deux hommes.

Arrivé sous les arbres, je m'arrête de courir pour pouvoir contrôler le bruit de mes pas. A grandes foulées, je m'enfonce dans la forêt...
Au bout de plusieurs minutes à ce rythme, je ralentis, alerté par des voix plus loin.
- Il est où ce pleurnichard ?
- J'ai cru le voir partir par là tout à l'heure.
- Le patron abuse... J'en ai vraiment marre !
- La ferme ! Plus vite on trouve ce Pokémon plus vite on rentre et le chef sera content comme ça... J'ai pas envie de revoir son couteau... Comme Steeve quand il s'est trompé dans les comptes la dernière fois...
En disant cela, je les vois frémir. Je dois vraiment faire vite et être très discret, si je ne veux pas que ce soit moi qui vois ce couteau de très près...
Ils se dirigent tous deux dans la direction qu'a montrée l'un d'eux à pas bruyants ; voilà au moins quelque chose qui me rassure : je n'aurais aucun mal à les localiser dans la forêt avec tout le bruit qu'ils font.
Au lieu de leur emboîter le pas, j'attends quelques minutes avant de continuer tout droit, pour pouvoir me rabattre plus tard et ainsi ne pas leur tomber dessus par inadvertance.

Les arbres sont de plus en plus touffus et la lumière de la lune filtre de moins en moins à travers leur feuillage, rendant difficile mon avancée.
Je suis tellement concentré sur mes pas que je n'ai pas remarqué le brusque silence. Cette réalité me frappe soudain : je n'entends plus les pas des deux hommes, le seul bruit aux alentours est celui du vent faisant craquer les branches. Je m'accroupis et avance en essayant de me camoufler : je ne veux pas faire de mauvaise rencontre.
- Chuut ! Tu vas lui faire peur !
C'est la voix d'un des deux brigands...
CRAC
- Osselaaaaaaaaaaaiiiiiiiiit !
- Et bien bravo, tu lui as fait peur ! Cours idiot, ne le laisse pas partir !
Je n'ai rien vu de ce qu'il s'est passé, mais ils ne sont pas bien loin de moi. Je me tasse dans un buisson, les genoux contre ma poitrine.
- On n'y voit rien ! On aurait dû prendre une lampe torche !
Les voix se rapprochent encore plus. Je sens un courant d'air près de moi et je tends le bras ; juste à temps ! Le courant d'air était provoqué par la course d'Osselait. Je l'attrape et le gratte derrière les oreilles.
Tout doucement, je lui murmure au creux de l'oreille :
- Je t'en prie, pas un bruit.
Je pense qu'il a compris. Il se love contre ma poitrine et nous restons là, tous les deux, à attendre.

- Il n'a pas pu aller bien loin ! Cherchons !
- Mais on n'y voit rien ! C'est inutile !
- La ferme, et cherche ! Ce sont des ordres du patron, alors t'obéis.
- Justement, ce n'est pas toi le patron ! Alors arrête de me donner des ordres ! Je sais ce que j'ai à faire.
J'entends des bruits de lutte et je frisonne.
Osselait bouge et fait craquer les feuilles de notre cachette.
- Tu as entendu ? Ça venait de là !
- Nous le tenons...
Doucement, j'essaye de sortir de ma cachette, en rampant. Ils s'approchent dangereusement de moi, je n'ai aucun moyen de fuir...

- Et les gars, c'est vous ?
Une troisième voix, un autre homme. Un faisceau lumineux éclaire les alentours, survolant ma cachette et se posant sur mes deux ennemis.
- Frank ? Qu'est-ce que tu fiches ici ?
Leur attention est détournée. J'en profite pour faire quelques pas et rejoindre une autre cachette, derrière le large tronc d'un chêne.
- Quelqu'un nous a apparemment entendus et nous a dénoncés à la police ! L'agent Jenny nous attendait ; deux de nos hommes ont été arrêtés, les autres ont réussi à s'enfuir. Le patron compte bien aller les récupérer, mais pour ça on doit aller au QG chercher des explosifs ! On va tout faire péter !
Je frisonne en entendant ces paroles. Je continue d'avancer, le plus silencieusement possible, m'arrêtant de cachette en cachette, Osselait sur mon dos.
- Tout à l'heure j'avais vu une ombre, j'avais pas rêvé alors...
La lampe survole soudain la végétation, se posant sur ma première cachette, puis éclairant successivement le paysage, jusqu'à arriver à moi...
- Toi ! Viens ici !
- Regarde, le Pokémon est avec lui !
Et flut, et flut et flut ! Je me mets à courir, Osselait sur mes épaules. J'entends derrière moi les pas bruyants des trois hommes se rapprochant de plus en plus. Je suis exténué, la journée a été particulièrement longue et pénible et je cède du terrain.
Je fais un écart pour éviter une branche et je m'écroule soudainement. La douleur dans mon dos... Je l'avais oubliée. Elle irradie à présent tout mon corps et j'arrive à peine à bouger. Osselait se tapit dans un coin pendant que je roule sur le côté pour essayer de me cacher, mais il est bien trop tard, car les assaillants sont déjà sur moi.

Un bras me soulève du sol, par le col de ma chemise.
- C'est toi qui as prévenu la police !
- Non, non! Je n'ai rien fait !
- Alors pourquoi es-tu venu dans cette forêt cette nuit, chercher le Pokémon que nous avons trouvé tout à l'heure ?!?
Je me tais, j'ai bien trop mal.
- Réponds !
Il me jette contre un arbre et je ne peux retenir un cri de douleur.
- Mon Pokémon s'est enfui, je suis revenu le chercher c'est tout! Je n'ai rien fait, je n'ai rien entendu !
- Menteur !
Un coup de pied dans les côtes, je me plie en deux.
- Qu'est-ce qu'on en fait ?
- On l'amène au chef, un point c'est tout.
- Pourquoi on le tuerait pas ?
- Oui, pourquoi pas hein ? J'en ai vraiment marre que tu me donnes des ordres !
La lampe de poche me permet de voir qu'ils me tournent le dos et qu'ils sont prêts à se battre. Osselait n'est pas loin. Il s'approche de moi et je lui chuchote à l'oreille :
- Va à la ville, je suis sûr que tu la trouveras. Va au centre Pokémon voir Nezu. Je sais qu'il comprendra. Fais attention à toi, s'il te plait, et sois discret...
Osselait court avec prudence. Je le suis du regard un instant, mais la lampe m'éblouit soudainement les yeux.
- Qu'est-ce que tu marmonnes toi ? On t'a pas appris à la fermer ?
- Excusez-moi Monsieur...
Je m'arrête une seconde de parler pour respirer, difficilement ; mon dos me lance et mes côtes me brûlent. Je réfléchis, avant de lancer :
- Je disais juste que si vous reveniez auprès de votre patron sans le Pokémon et sans moi, il ne serait pas très content...
- Qu'est-ce qu'il se permet de l'ouvrir celui-là !
L'homme qui a toujours l'impression qu'on lui donne des ordres me soulève du sol et me plaque contre l'arbre.
- Calme-toi Ed ! Le gosse a raison.
Sur ces mots, je vois le deuxième homme ramasser une grosse branche et me l'abattre sur la tête.
Ce sont les dernières images que j'ai le temps de voir, avant de sombrer dans le néant...

* *
*
* *

Kai n'est toujours pas revenu de sa course et je ne suis pas très rassuré.
Ici, la ville est en alerte. L'agent Jenny (qui elle aussi ne ressemble en rien à la description de Sacha) est venue au centre Pokémon et elle a parlé à l'infirmière Joëlle. D'après ce que j'ai compris, Kai aurait dû venir nous prévenir, mais il ne l'a pas fait. L'infirmière Joëlle a dit qu'il s'était enfui du centre et les deux femmes se font à présent énormément de soucis.
Ensuite, de grands hommes sont arrivés. La police les attendait et avait préparé un barrage de voitures et d'hommes équipés. Les brigands ont d'abord essayé de se battre, mais ils ont fini par fuir, devant le nombre trop grand d'agents de l'ordre et seul deux d'entre eux ont pu être arrêtés.
Les habitants sont effrayés et beaucoup de lumières sont allumées dans la ville, malgré l'heure tardive, centaines de petites étoiles sur Kajuu.

Kathy fait les cent pas dans notre petite chambre. Moi je suis assis sur le lit, et j'attends. J'ai peur...

* *
*
* *

J'ouvre les yeux, doucement. Je me trouve prêt d'un campement, attaché un peu en recul du feu.
Il y a cinq hommes assis devant moi et ma position ne me permet pas de voir aux alentours pour tenter d'apercevoir les autres.
Je referme les yeux, espérant ainsi faire croire que je dors encore.
- Bon les gars, il est l'heure de dormir ! Fin, tu prends le premier tour de guet !
J'entends les bruits de pas agités de plusieurs hommes et puis c'est le calme. Le feu est éteint et seule la lumière de la lune éclaire à présent le campement.
Je rouvre les yeux et me permets de bouger, pour essayer de trouver une position plus agréable.
Je réfléchis à un moyen de m'enfuir, mais aucune solution de ne me vient à l'esprit. Alors je reste là, et plusieurs minutes passent.

J'entends des pas, beaucoup plus légers que ceux des hommes, s'approcher de moi. La silhouette d'une jeune fille se faufile à travers le campement et s'accroupit près de mon visage.
- Chut ! Ne fais pas de bruit !
Elle m'aide à me relever et me conduit dans la forêt, un peu à l'écart. Peut-être va-t-elle m'aider? Je souffle, espérant une solution.

- Tu as fichu tous nos plans à l'eau ! Alors écoute-moi bien ! Mon père c'est le chef de cette bande...
Elle plante son regard dans le mien et pointe un couteau, caché auparavant dans sa manche, sur ma gorge. Elle ne vient en rien pour m'aider.
- ...il n'aura aucun mal à te retrouver si tu ne fais pas ce que je te dis... Réponds !
- Oui Madame !
- Mademoiselle, s'il te plait.
Elle esquisse un sourire.
- Je vais faire en sorte que mon père te libère, parce que je n'aime pas trop ce genre de meurtre inutile, et surtout, j'aime ton joli minois...
Son sourire monte jusqu'au oreille quand elle prononce cette phrase. Elle appuie un peu plus fort son couteau contre ma gorge.
- Mais sache deux choses : d'une, ton petit Osselait m'a conduit droit sur tes amis...
Elle sort une photo de sa poche, montrant Kathy et Nezu dans une chambre, près d'un Leveinard. Pas de doute sur leur identité...
- De deux, nous n'aurons aucun mal à te retrouver toi ou tes amis, si tu dénonces ce que tu as entendu dans la forêt. Si la prochaine fois que nous nous rendons à Kajuu, la police nous y attend, alors nous te le ferons payer. Et cette fois-ci, je n'aurai aucun mal à te tuer toi et tes amis, de mes propres mains même !
Elle me pousse par terre, pensant son message très clair dans ma tête.
- Maintenant viens, le chef t'attend.
Cette fois-ci, elle ne m'aide pas à me relever et je dois y arriver par mes propres moyens, tant bien que mal.
Elle marche rapidement, mais s'assurant toujours que je la suis. Nous revenons au campement et nous entrons dans une tente.

- Chi. Tu m'amènes un invité à ce que je vois.
- Oui patron. Je l'ai mis au courant des conditions de sa libération.
- C'est bien parce que c'est toi. La prochaine fois, je m'arrangerai pour que tu ne sois pas là quand mes hommes ramèneront quelqu'un !
Ils rient tous les deux. Elle lui ressemble énormément, je ne peux douter que c'est son père. Mais malgré tout, elle utilise les mêmes formules pour s'adresser à lui que les autres hommes.
- Pars discrètement. Dépose-le en ville et assure toi qu'il ne se fasse pas remarquer.
- Très bien, chef. Je serai de retour avant l'aube.
Elle s'incline et me tire dehors.

- Le mioche a disparu ! On va partir à sa recherche ! J'en ai rien à faire de ce qu'a dit le patron, il nous a fait perdre trop de temps ! On va le retrouver et lui faire la peau !
- Ouai, d'accord avec toi ! Le patron sera content qu'on se soit débarrassés de lui !
Deux hommes déambulent dans le campement, l'air farouche.
Elle desserre les liens qui m'attachaient les poignets dans le dos, et nous sortons du campement, en courant.
- Ce genre de décisions ne serait pas très approuvé par le groupe. Aussi, nous allons nous éclipser discrètement et sans bruit. Au moindre faux pas, je les laisse te trancher la gorge.

- Hey !
L'un des voyous m'a vu. Chi se cache et me laisse seul face à l'homme. Je me mets, encore une fois, à courir.
Arrivé sur le sentir, je me cache dans les fourrées et j'attends, ayant peur que la jeune fille revienne pour tuer mes amis si je continue seul.
- Je m'en occupe les gars, laissez tomber ! Le patron ne veut pas qu'on s'éloigne des tentes, surtout toi Fin, qui dois faire le guet.
- Et toi ? Pourquoi tu t'éloignerais ?
- Parce que si c'est moi ça passera bien mieux.
J'aperçois Chi qui tourne les talons à Fin. Hors de vue des hommes, elle m'appelle.
- Je sais que tu es là. Dépêche-toi, ma patience a des limites !
- Tu l'as trouvé Chi ?
- Oui, oui !
- Tabasse-le, allez, qu'on en finisse !
Elle marque une pause, le guet nous a surpris.
- Je vais faire ça plus loin, pour éviter les traces...
Elle me frappe dans les côtes et je m'écroule, étouffant un cri de douleur. Elle m'attrape par le col et me traîne par terre.

Nous avançons comme ça, sur plusieurs mètres, jusqu'à ce que le sentier bifurque, et que nous soyons hors de vue.
- Lève-toi !
Je me relève et titube.
Elle sort son couteau et me guide de la pointe appuyée sur ma gorge.
- Comme ça, tu ne pourras pas t'offrir le luxe de traîner.
Je n'ai pas le choix, je dois suivre son rythme, malgré ma fatigue et mes blessures.

* *
*
* *

Osselait est revenu, sans Kai. Les pensées du Pokémon sont trop floues, trop pleines de peur. Je n'arrive pas comprendre ce qui s'est passé.
Kathy essaye de le calmer, mais sans succès. Je soupire et me replie un peu plus sur moi-même.

* *
*
* *

Les lumières de la ville apparaissent enfin. Chi accélère le rythme, j'ai de plus en plus de mal à la suivre. Tous mes muscles me font souffrir, j'ai toujours mal au dos et la douleur dans mes côtes est de pire en pire.
Nous arrivons en bordure de la ville.
- File maintenant ! Et n'oublie pas ce que je t'ai dit.
Elle attrape mon poignet et dessine une balafre sur mon avant-bras à l'aide de son couteau, estafilade sanglante.
- Comme ça, tu n'oublieras pas.
Une goutte de sang perle, elle l'attrape sur son doigt qu'elle porte à sa bouche.
- Je connais le goût de ton sang. Prends garde à toi si tu trahis ma confiance...
Et elle s'enfuit dans la forêt.

J'avance de quelques pas dans la ville, mais la fatigue l'emporte et je m'écroule par terre.

Après avoir attendu une bonne partie de la nuit, Osselait et Kathy se sont endormis, suivis de peu par moi-même. Mais notre repos n'a pas duré bien longtemps.

Le soleil n'est pas encore levé, que l'infirmière Joëlle déboule dans notre chambre, suivie de l'agent Jenny. Des larmes emplissent les yeux de la première.
- Que se passe-t-il ? dis-je entre deux bâillements.
- Votre... votre ami. Nous l'avons trouvé.
Kathy saute du lit et cours dans tous les sens. Je l'attrape et la soulève, tant bien que mal.
- On peut le voir ?
Elles ont un air gêné, et la femme policière nous invite à la suivre. Nous quittons tous les quatre, l'agent Jenny, Kathy, Osselait et moi, le centre Pokémon, et marchons dans les rues encore endormies. L'infirmière Joëlle nous suit du regard.

- Il n'a pas l'air très bien. Mais quand on s'est approché de lui, il s'est réveillé, et a refusé qu'on le déplace. Il est blessé, et nous avions peur de lui faire mal en le soulevant, aussi, nous n'avons pas tenté de l'attraper de force. J'espère que vous comprendrez...
Elle parait peinée, et gênée. En écoutant ces mots, nous arrivons en bordure de la ville.
La faible lueur des lampadaires nous montre un corps, gisant par terre, dont la seule preuve nous montrant qu'il est encore en vie est le petit tremblement qui le parcourt, à intervalle régulier.
J'avais compris, en voyant les deux femmes, qu'il serait mal en point, mais jamais je n'aurais pu imaginer l'état dans lequel se trouve Kai en ce moment même.
Kathy se débat, et essaye de le rejoindre, mais je la retiens.
- Doucement !
Osselait, quant à lui, reste figé de stupeur.

L'agent Jenny recule de quelques pas pour nous laisser approcher notre ami, et nous laisser un peu d'intimité.
Je m'assois près de son visage, cherchant son regard.
- Laissez-moi...
Sa voix est faible. Il ferme les yeux, se crispant de douleur. J'observe l'étendue des dégâts...
Ses vêtements sont plein de poussière, tout abîmés. Sa chemise est déchirée, laissant apparaître les hématomes de son combat contre Sacha. Le bandage précaire sur son dos est imbibé de sang, car la plaie sur son dos s'est rouverte. Son corps entier est recouvert de bleus, plus récents que les autres, d'écorchures, de coupure. Je n'aperçois qu'une partie de son ventre, mais ce que je vois ne me rassure guère : il est enflé et bleu, comme si on l'avait frappé de plusieurs coups dans les côtes. Sur son bras, une estafilade sanglante est dessinée, montant du poignet jusqu'au coude.
La faible clarté apportée par les lampadaires ne me permet pas de relever toutes ses blessures, mais ce que je vois me suffit. Je ne peux empêcher les larmes de couler sur mon visage.

* *
*
* *

Nezu... Ce garçon a l'air de toujours tout savoir. Mais cette fois-ci, connaît-il la vérité ?
Je me sens misérable. Je n'ai pas pu m'opposer à ce gang, et ils m'ont obligé à me taire. Par ma faute, peut-être que des hommes vont mourir, car je les ai vus. Ils sont cruels, et n'hésiteront pas à tuer tous ceux qui s'opposeront à eux.

Tout mon corps me fait souffrir, je n'ose pas bouger, de peur d'accentuer la douleur. Et de toute façon, je préfère rester là, je suis épuisé tant physiquement que moralement, je n'ai vraiment plus la force de me lever.

Kathy s'approche de moi, mais évite mon regard. Elle se love contre mon ventre, et je ne peux retenir un petit cri de douleur, à son contact contre mes côtes douloureuses. Elle sursaute, et s'éloigne. Je la retiens :
- J'ai juste était surpris. Ne t'en fais pas, je n'ai pas mal.
Je lui mens. Pourquoi ? Je n'en sais rien. J'ai juste envie qu'elle reste près de moi.
Osselait nous rejoint, et se colle au côté de Kathy.

Le temps passe ainsi, avec Kathy et Osselait contre mon ventre, et Nezu près de ma tête.
L'infirmière Joëlle rejoint l'agent Jenny, et toutes deux murmurent, un peu à l'écart, si bien que je n'entends que quelques brides de conversation :
- ... il faudrait tout de même prévenir ses parents, ou quelque de sa famille ! Il devrait aller à l'hôpi...
Le vent étouffe les paroles suivantes.
- ... savoir qui lui a fait ça, comment ça s'est passé...
Je n'ai ni envie qu'on appelle ma mère, ni que l'on m'interroge. Je soulève mon bras, et le tends vers la main de Nezu.
- Nezu...
Le simple fait de parler m'épuise. J'ai la tête comme un ballon, et mes idées ne sont pas claires. Le garçon me regarde dans les yeux, et attend.
- Allons nous reposer... au centre Pokémon. S'il te plait...
Il se relève, en m'aidant à me mettre debout, délicatement, comme s'il sentait la fragilité de mon corps. Mais je ne dois pas avoir l'air faible devant les deux femmes, pour qu'elles pensent que ce n'est pas grave. Alors, rassemblant toute ma force et mon courage, je marche seul, repoussant lentement mon ami.
Ma démarche est d'abord chancelante, mais elle devient plus sûre à chaque pas ; l'illusion fonctionne.

Les autres me regardent avancer, et quand elle me pense à bonne distance, l'agent Jenny questionne Nezu :
- Où va-t-il ? Il lui faut un médecin !
- Il a dit qu'il avait juste besoin de repos. Nous retournons au centre Pokémon.
J'entends le pas léger de Nezu, suivis du claquement des griffes de mes Pokémon. Le rire cristallin de l'enfant s'élève dans le ciel, et nous avançons, en silence, dans les rues de la ville.

Arrivé dans notre chambre, je m'écroule sur un lit, et sombre dans un sommeil profond.

* *
*
* *

Je le vois, même dans son sommeil, il souffre. Je ne peux rien faire pour l'aider, j'attends son réveil.

Mes pensées deviennent de plus en plus clair. J'ai même essayé de discuter avec Osselait. Il se trouve que le langage des Pokémon est bien plus subtil que le langage des humains. J'ai encore quelque difficulté à m'exprimer, mais je commence à y arriver. Et d'après mon ami Pokémon, il semblerait que mes pensées étaient floues car je n'étais pas habitué à cette forme.
Maintenant, en me concentrant, j'arrive à comprendre mes pensées, et à les exprimer autrement qu'avec des images. Ce n'est pas encore automatique, malheureusement ; il semble que l'esprit des Pokémon soit bien plus complexe qu'on ne le croit.

Mais cette nuit, il m'est impossible de me concentrer. J'ai l'impression d'avoir un esprit primitif. Mes pensées restent des images. Des images très violentes.
Je l'imagine en train de se faire frapper, torturer. Je le vois en train de recevoir des coups.

Pendant son sommeil, l'infirmière Joëlle et Leveinard ont tenté de le soigner, après que Nezu ait expliqué que Kai ne voulait ni aller à l'hôpital ni qu'on appelle ses parents, et que nous ayons montré tous les trois une certaines forme d'hostilité afin de les repousser.
Elles lui ont ôté sa chemise, laissant ses horribles blessures bien visibles, et ont commencé à essayer de nettoyer et soigner ses plaies. A intervalles réguliers, on entendait l'infirmière murmurait :
- Je soigne les Pokémon, moi, pas les humains. Je n'ai aucune expérience dans ce domaine...

Maintenant, Nezu et Osselait se sont endormis sur le second lit, blottis l'un contre l'autre. Quant à moi, je lutte pour ne pas sombrer dans le sommeil, afin de ne pas rater le réveil du blessé. Mais mes paupières se font de plus en plus lourdes. Je m'installe au pied de l'enfant, et je me roule en boule, mes oreilles tendues vers Kai afin de l'entendre en cas de problème, avant de m'endormir à mon tour, pour les quelques heures restantes de la nuit.

* *
*
* *

J'entends des pas, un peu plus loin.
Je viens enfin de me réveiller. Je m'assois doucement sur le lit, et observe les alentours. En regardant par la fenêtre je constate que le soleil est déjà haut dans le ciel.
En me voyant bouger, Osselait saute sur mon lit, ses yeux plissés de bonheur. Il sautille en me regardant, puis sort de la chambre en courant. Il ne s'absente pas bien longtemps, et revient suivi de mes deux autres compagnons.

Nezu tient un plateau, recouvert de nourriture, qu'il me tend. Je l'accepte avec joie. J'avale un bol de chocolat chaud et des tartines de confitures. Manger est moins douloureux que je ne l'aurais cru.
Les autres me regardent finir mon repas, sans parler.

Je me lève et me dirige vers une petite salle de bain, marchant avec lenteur. Devant le miroir, je me permets d'observer mon corps. Mes amis m'ont suivi, et m'observent toujours en silence.
Le bandage a été refait sur mon dos, et il maintient à présent aussi mes côtes fragiles. Des pansements recouvrent les plaies les plus importantes, et les autres ont simplement été nettoyées. Je bouge chacun de mes membres, l'un après l'autre, calmement. Ils sont douloureux, mais je n'ai apparemment rien de cassé.

Aucun d'eux ne parle. Je n'entends ni la voix d'enfant de Nezu, ni les cris aigus d'Osselait, ni la voix triste de Kathy.

- J'aimerais... me laver un peu.
- Bien sûr.
Le garçon me tend mon sac, et entraîne les autres dans la chambre, me laissant seul dans la salle de bain.
Je ferme la porte, et m'observe à nouveau, mais sans miroir, voulant voir la vérité directement, sans l'intermédiaire d'un objet.

Mes doigts passent d'abord dans mon dos, mais le bandage m'empêche de sentir ma cicatrice. Puis, ils caressent ma gorge, où ils constatent une petite écorchure, due à la pression du couteau sur mon cou. Ils tâtent ensuite mes côtes, protégées elles aussi par le bandage. Et enfin, ils courent le long de mon bras droit. Le pire. La cicatrice de ma faiblesse face à cette fille...

Chi... Mes poings se serrent de colère.

Je me lave consciencieusement avec des gestes précis, puis je sors de la salle de bain, avec des vêtements propres.

A ma surprise, l'agent Jenny est dans la chambre, encadrée par mes amis.
- J'aimerais savoir ce qu'il s'est passé...
Mon corps tremble, mais je dois me contrôler. Me contrôler, et mentir.
- Je... Je ne m'en rappelle pas ...

Je leur ai menti. Je leur ai dit que je ne me rappelais de rien, mais c'est faux. Tout ce qui s'est passé est gravé dans ma mémoire, et jamais je ne pourrais l'oublier. Mais je n'ai pas le choix, je dois faire croire à mon amnésie.
Chi... Tout cela est de sa faute, elle aurait mieux fait de me tuer...
- Kai, viens voir !
Mais si elle m'avait tué, personne n'aurait été là pour Nezu et Kathy. Ils avaient l'air tellement inquiets pour moi... et chaque fois que je m'absente, ils semblent si perdus...

Le garçon m'appelle. Après avoir acheté des vivres pour la suite du voyage, j'ai constaté que nous manquons cruellement d'argent, et nous déambulons à présent dans la ville, à la recherche d'une solution.

- Kai ! Allez, viens voir !
Je m'approche de lui. Il me montre une affiche annonçant un tournoi à Kajuu.
- Si tu gagnes, tu recevras de l'argent ! C'est parfait ! Il faut t'y inscrire !
Et déjà il m'entraîne dans la direction du stade.
- Mais enfin, Nezu. Kathy s'est très peu battue, et si elle se transforme en plein combat, nous risquons d'être très embêtés... Et je n'ai jamais combattu au côté d'Osselait... Jamais nous ne gagnerons !
Mais il ne m'écoute pas. Il court, me tirant par le bras. Je soupire, et le suis.

Nous arrivons dans le hall du stade de Kajuu, où une hôtesse nous accueille en souriant.
- Bonjour ! Vous souhaitez vous inscrire au prochain tournoi ?
- C'est exact.
- Vous connaissez les règles ?
- Heu... non.
- C'est un combat en 2 vs 2, vous n'avez le droit qu'à deux Pokémon pour toute la durée du tournoi. Ca ira ?
- Oui, oui.
- Très bien. Veuillez remplir ce formulaire, puis allez attendre par là-bas. Nous vous appellerons quand viendra votre tour de combattre.

Mes amis et moi allons nous asseoir dans un coin, après avoir rempli le petit papier de l'hôtesse, et attendons. J'ai le numéro 5. Nezu trépigne d'impatience.
Assis par terre en tailleur, il converse avec mes deux Pokémon :
- Alors vous êtes prêts ? Il va falloir vous battre...
Je ne les écoute pas, j'ai la tête ailleurs. Seul le rire de l'enfant perce mes songes.
Mes pensées vagabondent, allant du jour où j'ai rencontré Kathy, à notre rencontre avec Sacha, puis s'arrêtent rapidement sur mon passé, avant que le visage de Chi n'encombre tout l'espace et que tout mon corps brûle d'envie de se venger.

Une voix retentit :
- Nous procédons au tirage au sort. Dans quelques instants, vous connaîtrez votre adversaire. Veuillez patienter.
Le garçon se relève rapidement, et sourit.
- Terrain 1 : dresseur 2 contre dresseur 7. Terrain 2 : dresseur 1 contre dresseur 5...
Je n'écoute pas la suite, et déjà nous nous dirigeons vers le terrain numéro 2. Je sens la tension qui émane d'Osselait et Kathy. Même le sourire de Nezu a changé.
J'ai bien peur qu'ils se fassent trop d'illusions...

Nous nous plaçons sur une passerelle qui surplombe le terrain, qui est en fait une sorte de petit bois, avec juste un espace vide au centre.
Mon adversaire est un garçon, qui doit être un peu plus jeune que moi. Il est debout sur une passerelle identique à la mienne, en face, le regard déterminé.
Nous échangeons quelques politesses, et le combat commence.

Il appelle un Pokémon avec une queue touffue sur laquelle il prend appui : un Fouinette. Mes deux Pokémon sautent dans l'arène et se préparent à combattre.
- Et voici mon deuxième Pokémon ! Pokéball, go !
Le dresseur en face de moi à l'air sûr de lui. La pokéball rebondit près du Fouinette, libérant dans une forte lumière un Pokémon dont je reconnais aisément la silhouette : un Insécateur.
Nezu pousse un petit cri de surprise, et Kathy et Osselait commence à paniquer, dominés par la taille du Pokémon vert.
Sur le côté, un homme agite des drapeaux :
- Vous êtes prêts ? Que le match commence !
Mes Pokémon prennent peur, et tentent de se cacher. De son côté, mon adversaire semble confiant. Son Insécateur reste immobile au milieu de l'arène, les yeux fermés. Quant à son Fouinette, il se dresse sur sa queue à la recherche de mes deux amis, et parcourent l'arène dans tous les sens.
A peine a-t-il repéré l'un de mes Pokémon, que celui-ci retourne se cacher, en esquivant les puissantes griffes de la sentinelle. Le jeu se répète inlassablement.
- Suffit ! Osselait riposte au lieu de fuir ! Kathy, griffe le Fouinette, arrête de te cacher !
Mais ils ne m'écoutent pas. Mon adversaire me rit au nez.
- On dirait que tes Pokémon ne t'obéissent pas, tu es un dresseur pitoyable !
- Tu n'as pas le droit de dire ça !
Nezu s'énerve. Il cherche Osselait et Kathy des yeux, et je le vois se crisper. Mes deux amis semblent eux aussi être énervés.

Le jeu continue entre Fouinette et mes Pokémon, mais cette fois-ci, mon adversaire n'est plus le seul à s'amuser. Chaque fois que le Pokémon espion repère l'un de mes amis, l'autre riposte par derrière, et notre ennemi commence à fatiguer.
- Il suffit ! Insécateur ! Tu sais ce qu'il te reste à faire !
Le Fouinette s'enterre, l'Insécateur ouvre les yeux.
- Faites attention !
Mes deux Pokémon retournent se cacher, espérant que leur tactique fonctionnera encore face à ce nouvel adversaire.
- Taillade !
Mais l'affreuse mante est puissante ; à l'aide de ses avant-bras elle découpe les arbres de l'arène à une vitesse fulgurante. Elle arrive au niveau d'Osselait et découpe sa cachette en mille morceaux. Kathy tente de riposter de la même manière qu'auparavant, mais le Fouinette sort d'un bond du sol, et lui assène un violent coup de queue.
L'Insécateur se déplace en cercle autour de mes Pokémon apeurés, les empêchant de s'enfuir.

Nezu s'approche de moi :
- Kai ! Il ne faut pas que Kathy soit K.O ! Parce que si elle se transforme en plein milieu du combat, on risque d'avoir des problèmes...
Je regarde le garçon, pensif.
- Achève-les Insécateur !
Le cri de mon adversaire me replonge brusquement dans le combat. Le présentateur trouve bonne l'idée d'intervenir :
- Le Osselait et le Sabelette du dresseur numéro 5 semblent en mauvaise posture, vont-ils réussir à s'en sortir ?
Et l'horrible mante continue ses assauts. Se servant de sa vitesse, le Pokémon crée plusieurs répliques de lui-même, et au moment opportun, il frappe mes deux amis, pris au piège. Aucun des deux n'arrive à répondre aux attaques, leur adversaire est bien trop rapide.
- Kathy, creuse ! Osselait, Osmerang !
Mes Pokémon s'exécutent.
- Ahahah, très mauvaise idée !
Mon adversaire est aux anges. Une fois encore, il se rit de moi.
Kathy plonge sous terre, tandis qu'Osselait essaye de lancer son os bien qu'il ne maîtrise pas très bien cette attaque.
- Kai ! Où est Fouinette ?
Nezu cherche désespérément le Fouinette dans l'arène.

Tout se déroule ensuite très vite. L'os d'Osselait frappe Insécateur dans le dos lorsqu'il revient vers son lanceur. La mante s'arrête alors de tourner autour de mon pauvre ami. Kathy sort alors du sol, poussée par le Fouinette, et retombe plus loin, à moitié assommée. Insécateur riposte en frappant rapidement mon Pokémon de ses lames.
Je n'ai même pas le temps de réagir, Osselait et Kathy non plus. Le premier est vite mis K.O, et l'Insécateur ne tarde pas à se retourner vers mon Sabelette.
- Kai ! Rappelle Kathy et vite !
J'essaye de rappeler mes Pokémon, mais mon bras tremble, et l'Insécateur m'empêche de voir où je vise.
- Kai ! Réagis ! Si elle est K.O, c'est la fin pour elle !
- Je sais !
Je réfléchis rapidement. L'Insécateur lève son bras atroce vers Kathy, déjà affaiblie. Il faut que je fasse quelque chose.

* *
*
* *

Kathy est en mauvaise position. L'Insécateur la domine de sa hauteur, et elle est trop fatiguée pour pouvoir esquiver son attaque.
Si elle reprend forme humaine ici, elle risque d'avoir des ennuis. Il faut que Kai fasse quelque chose.
- Kai ! Réagis ! Si elle est K.O, c'est la fin pour elle !
- Je sais !
Je le vois, il hésite. Il réfléchit quelques secondes, puis il se met debout sur la barrière, et saute.
- STOP !
Son adversaire est surpris. Kai s'interpose rapidement entre l'Insécateur et Kathy.
- J'ai perdu, j'abandonne. Mais épargne mes Pokémon.
- Très bien.
Le garçon rappelle ses Pokémon, et mon ami récupère les siens dans ses bras, avant de se diriger vers le vestiaire, la tête basse.
Le présentateur annonce la défaite de Kai, mais je ne l'écoute pas, et rejoins mes amis.

Dans le vestiaire, Kai est assis, la tête dans les mains. A ses côtés, Kathy et Osselait se sont endormis. Il tourne le visage vers moi :
- Je suis désolé, Nezu. Je sais que tu voulais que je gagne.
- Ce n'est pas grave !
Je lui souris, mais il a l'air préoccupé. Je m'assois moi aussi près de lui, et attends, en silence.
- Elle ne s'est pas retransformée.
Il murmure soudain, le regard dans le vide. Je comprends maintenant son expression presque vide : il se fait du soucis. J'essaye de le rassurer, comme si nous avions échangé les rôles :
- Peut-être qu'elle ne voulait pas qu'on la voit comme ça, alors elle a réussi à empêcher sa transformation ?
- Peut-être...
Il n'est pas convaincu. Le silence s'installe à nouveau, brusquement ponctué par le bruit de talons sur le sol. Nous relevons la tête dans la direction d'où viennent les pas, et nous apercevons l'infirmière Joëlle.
- Il se fait tard les enfants. Vous ne voulez pas passer la nuit au centre une fois de plus ? J'aimerais aussi vérifier tes pansements... Et vos Pokémon ont besoin de repos.
Kai ne réagit pas. Il glisse soudain un regard vers moi, comme s'il attendait que je prenne la décision à sa place. Je me lève alors, attrape Osselait doucement et me dirige vers la gentille demoiselle. Mon ami fait de même, et récupère Kathy calmement.

Seul le bruit des chaussures de l'infirmière rythme notre procession, et nous nous dirigeons sans parler vers le centre Pokémon.

Nous arrivons au centre Pokémon. L'infirmière Joëlle nous ouvre la porte, et récupère Osselait et Kathy, toujours endormis. Elle nous indique notre chambre, et nous y entrons en silence, Nezu et moi.

Le centre est immense. La pièce principale est le hall d'entrée. On y trouve le bureau de l'infirmière, là où elle recueille les Pokémon blessés, quelques téléphones et des fauteuils. Derrière ce bureau, il y a les pièces d'opérations, dans lesquelles je n'ai pas pénétrées, mais que j'ai aisément reconnu aux sigles dessinés dessus. Le grand hall sert aussi de couloir, si je puis dire. De chaque côté, il y a plusieurs chambres, et une salle de bain, servant aux voyageurs. Ensuite, au sous-sol, il y a les salles de repos pour Pokémon. Quand ils sont très blessés ou fatigués, Leveinard les emmène là-bas, au calme. Et à l'étage, il y a une salle commune pour tous les dresseurs.
Il est presque identique au centre Pokémon de...
- Kai ?
Quelqu'un vient d'entrer dans la salle. Un homme avec son... Pikachu.

* *
*
* *

Kai ne parlait pas. Même quand Sacha est entré dans la pièce, il n'a rien dit, il est juste sorti. Il doit être extrêmement rancunier...
Cela fait bien une heure qu'il est parti, et entre temps Kathy et Osselait m'ont rejoint. Sacha ne veut pas qu'on parte à sa recherche. Il a dit qu'il fallait d'abord qu'on mange. Sauf que tout n'est pas gratuit dans un centre Pokémon, et nous ne voulions pas prendre des vivres sans l'autorisation de Kai. Alors Sacha nous a dit de l'attendre en haut, et de réfléchir à ce que nous voulions manger, qu'il nous offrait notre repas. Et il est sorti.

* *
*
* *

Je suis parti. J'avais besoin de réfléchir. Je sais très bien pourquoi il n'est pas retourné directement au Bourg-Palette, et c'est ça qui me fait si mal. Je suis assis sur un banc, dans un parc, et j'essaye tant bien que mal de me vider le crâne.
Sacha vient s'asseoir à côté de moi.
- Je sais que tu n'as aucune envie de me voir. Je sais que tu voudrais que je disparaisse, même si je ne comprends pas tes réactions. Mais s'il te plait, viens avec moi au centre Pokémon. Nezu m'a dit que vous n'aviez pas beaucoup d'argent, moi j'en ai, alors je tiens à vous offrir un bon repas. L'aventure, ça creuse !
Je ne réponds rien. Il attend quelque minute, il ne me regarde pas.
- Les autres veulent que tu reviennes. Je n'ai pas voulu qu'il parte à ta recherche, il est tard. Tu n'as que quinze ans, ce n'est pas un âge pour dormir dehors.
- Tu n'en avais que dix quand tu es parti, et tu en avais dix-sept quand tu as pourri ma vie.
Il soupire.
- Je resterai là jusqu'à ce que tu te décides.
C'est à mon tour de soupirer.
- Tu essayes d'acheter mon amitié.
Il sursaute en entendant mes paroles.
- C'est vrai. Mais pas pour ce que tu crois. Et je n'essaye pas de l'acheter, mais de la racheter. Nuance ! Tu m'adorais quand tu étais gamin...
Je me lève brusquement. Il n'a pas le droit de parler de ça.
- Mais tout était différent ! Tu... tu ...
Quelques larmes coulent sur mes joues, et j'ai toutes les peines du monde à ne pas craquer complètement, si bien que mon corps en tremble. Il se lève, et me serre contre lui.
- Je t'en prie, arrête ça... Pardonne-moi...
Il murmure dans mon oreille. Sa réaction me prend au dépourvu, je ne sais plus quoi penser. J'interromps son étreinte :
- J'ai faim.
Il baisse la tête, et nous nous dirigeons en silence vers le centre.

A peine sommes nous arrivés, que Nezu me saute dans les bras, talonné par mes deux amis Pokémon.
- Je vois que vous êtes réveillés. Tant mieux.
Osselait et Kathy baisse la tête, visiblement gênés.
- C'est à cause du tournoi que vous faites cette tête ?
Hochement de tête de leur part, je ris.
- Mais ce n'est rien !
Tout en parlant, nous montons à l'étage, et nous installons à une table. Chacun commande à manger, et la soirée se passe calmement, Sacha et moi essayant d'éviter tout sujet fâcheux.

Kathy, Osselait et Nezu somnolant, nous les envoyons se coucher, et Sacha, accompagné de son fidèle Pikachu, et moi aidons l'infirmière comme il est de coutume : les dresseurs payent leur nourriture, mais pas la nuitée, alors ils donnent un coup de main à l'entretien du centre Pokémon en contrepartie. Tous les centres Pokémon fonctionnent de la même manière à ce sujet.
- Merci pour le repas. Ils... ils t'aiment bien, ce serait égoïste de ma part de les empêcher de passer du temps avec toi.
Il me sourit. Nous continuons de nettoyer la salle commune sans parler. Il s'arrête soudain, et me regarde, pensif.
- Nezu... Ce garçon est très étrange. Cette lueur qu'il a dans les yeux. Et puis parfois il dit des choses très bizarres. Comme la dernière fois, je l'ai entendu murmuré quelque chose du genre « je le savais, j'ai l'habitude, je sais toujours ». Je ne me rappelle plus de ses paroles exactes, mais c'était dans cet esprit. Et puis Kathy qui se transforme en Sabelette... Vous formez vraiment un drôle de groupe !
- Je ne sais pas pourquoi Nezu sait toujours tout, mais on dirait qu'il arrive à analyser les gens en les regardant au fond des yeux. C'est assez déstabilisant. Quant à Kathy, j'espère trouver la solution à son problème.
Il balaie, tout en réfléchissant.
- Ils ne savent presque rien de toi, et toi tu ne sais presque rien d'eux. C'est peut-être pour ça que vous vous entendez si bien. Parfois il est mieux de ne rien savoir.
Je passe un dernier coup de chiffon sur les tables, avant que l'infirmière Joëlle ne nous remercie et nous envoie nous coucher.

Arrivés dans notre chambre où les autres dorment à point fermé, je retire ma veste et ma chemise. Sacha retient un petit cri de stupeur :
- Tu étais mal en point, mais pas à ce niveau là ! Qu'est-ce qui t'es arrivé ?
Je marmonne quelque chose du genre « rien du tout, je suis fatigué », et je ferme les yeux, mettant fin à la conversation.

Sacha ne dit plus rien, et je finis pas m'endormir.


* *
*
* *

Je me réveille, un peu déstabilisée. J'ouvre les yeux, et vois Kai penché au-dessus de moi. Il chuchote :
- Kathy... Kathy ? Tout va bien ? Tu t'es retransformée, alors je me suis demandé si tu n'étais pas malade...
Je tends les bras et inspecte mes mains, je me regarde de haut en bas. Je regarde autour de moi : les autres dorment encore. Je souris à Kai :
- Oui, tout va bien.
- Tant mieux. Il est encore tôt, tu devrais dormir encore un peu.
Je regarde par la fenêtre : il fait encore nuit. Je soupire et referme les yeux. Il ne me faut pas longtemps avant de me rendormir.

* *
*
* *

Avant, je pensais que ses transformations étaient dues à la fatigue, ou quelque chose comme ça. Mais elle ne s'est pas transformée quand elle combattait et qu'elle était presque K.O. Et voilà que maintenant, elle se transforme en pleine nuit, apparemment sans raison.

Je suis sortie dans la rue, à la recherche d'une nouvelle solution à notre problème d'argent.
Je déambule dans la ville, sans but précis, ne sachant pas où chercher, et prospecte.
- Toi !
Une vois m'appelle. Ce n'est ni celle de Kathy, ni celle de Nezu, et encore moins celle de Sacha. Mais malgré tout, c'est une voix que je connais.
Un rire sardonique retentit soudain, et une main m'attrape et me tire dans une ruelle. C'est Chi. Elle relève la manche de ma veste et me susurre à l'oreille :
- Bon toutou, tu n'as rien dit, c'est très bien...
Elle plante son ongle dans ma peau pour faire saigner à nouveau la marque sur mon bras.
- C'est impossible... Je n'ai rien entendu... Vous n'êtes pas déjà revenus...
Une feuille de journal s'envole et atterrit devant mon visage. Je peux y lire :
« Deux policiers morts dans une explosion, plusieurs blessés. Des prisonniers se sont échappés... prison en ruine... ville en panique... vols... »
Le rire de Chi retentit encore une fois, puis je me réveille en sursaut.

Ce n'était qu'un rêve. Un mauvais rêve. Les autres dorment toujours. J'ai dû me rendormir après avoir parlé à Kathy, car ça je ne l'ai pas rêvé : elle est bien humaine. Les premiers rayons du soleil percent la nuit, et avec eux le premier chant des oiseux. Mes amis ne tardent pas à se réveiller.

Nous nous saluons calmement mais ne parlons pas beaucoup : Kathy et Nezu sont encore à moitié endormis, et Sacha reste pensif. Nous nous préparons rapidement.
Sacha nous offre le petit déjeuné.
- Je te rembourserai.
- Ne t'en fais pas pour ça.
- J'insiste.
Nous terminons notre repas, avant que je lance :
- Je crois que nous pouvons laisser Kajuu derrière nous. Nous trouverons une solution plus tard pour ce qui nous manque, nous nous arrangerons en attendant.
Les autres approuvent ma décision et nous rassemblons nos quelques affaires avant de saluer et de remercier l'infirmière Joëlle.
Les autres m'attendent devant le centre.
- Infirmière Joëlle...
- Oui ?
- Je... Dites à l'agent Jenny de faire attention à elle.
Elle me regarde, surprise, et elle ouvre de grands yeux.
- Tu te souviens ...
Mon regard un peu paniqué m'a peut-être trahi, je n'en sais rien. Mais je ne dois pas traîner. Je secoue la tête, hausse les épaules, et sors en courant. Nous prenons la direction de la sortie de la ville, accompagnés de Sacha et de sa souris jaune.

La journée se déroule normalement. Nous avançons à bon rythme sur les sentiers reliant Kajuu et la prochaine ville. Nezu parle avec Sacha, lui posant mille questions, et Kathy sifflote, Osselait dans ses bras, écoutant attentivement le dialogue entre le garçon et le jeune homme. Elle ne les interrompt que rarement, pour avoir un détail supplémentaire, ou poser une question qui aurait échappé à Nezu.

Le soir arrive enfin. J'allume un feu de camp, tandis que Sacha apprend aux autres à reconnaître les bonnes baies des mauvaises ; il m'avait appris cela quand j'étais enfant déjà...
- Comment tu sais ça, dis, Sacha ?
- C'est mon ami Pierre qui me l'a appris.
- Celui dont tu parles dans tes livres ? L'ancien champion d'Argenta ?
- C'est exact.
La nuit tombe rapidement, pendant que notre nouveau compagnon prépare un repas avec ce qu'ils ont pu ramasser dans la forêt, et une partie de nos vivres.
Nezu, Osselait et Kathy s'écartent un peu du feu, et somnolent en regardant les étoiles. Sacha s'approche de moi :
- J'avais oublié mais... J'ai ceci pour toi.
Il me tend un paquet, avec une lettre dessus. Il semble gêné, et évite soigneusement mon regard.
- Ouvre d'abord le paquet...
Je déchire l'emballage. Derrière moi, je sens l'attention de mes amis se réintéresser à notre duo. Le cadeau est en fait un téléphone portable. Je lance un regard interrogateur à Sacha, qui me désigne la lettre du menton. Nezu s'approche de moi :
- Qu'est-ce que c'est ?
- Je ne sais pas...
Kathy est derrière moi, et regarde par-dessus mon épaule.

Sur l'enveloppe il y a écrit mon nom. Je reconnais l'écriture de ma mère. Je me lève, énervé.
- Qu'est-ce que ça signifie ? Tu t'es montré gentil pour faire passer la pilule ? Je n'en veux pas de son téléphone !
Je tremble. Je n'ose pas ouvrir la lettre.

* *
*
* *

Kai tremble. Sacha lui a donné un paquet et une lettre, mais je ne comprends pas ce qui se passe.
Personne ne dit rien quant à la réaction de Kai. Il se calme tout seul, et ouvre la lettre. Il relit la lettre une seconde fois. Il panique, je le vois. Ses jambes flageolent.
Puis il se jette sur Sacha, il hurle et tente de l'étrangler :
- Tu n'es qu'un salaud ! Pourquoi ? Tu n'as pas le droit !
Je voudrais intervenir, mais je remarque le visage de Sacha : Kai ne met aucune force dans ses gestes. Il s'écroule, et sanglote un instant, avant de s'éloigner dans l'ombre de la forêt qui borde le sentier.
Je ramasse la lettre qu'il a laissé tomber, et je la lis à mon tour. Sacha ne tente pas de m'arrêter, il semble véritablement peiné.

J'hésite un instant avant de la lire. Mes yeux glissent juste vers la signature : quelques lettres gribouillées signifiant « Ta maman ».
Je regarde vers Sacha, et marque une pause, ne sachant si j'avais le droit de continuer ma lecture. Kai sort de la forêt, et s'assoit, son dos contre le mien.
Par ce geste, je comprends qu'il est d'accord que je lise, alors je continue :

« Mon cher Kai,
je n'ai pas toujours été une très bonne mère, j'en conviens.
La dernière fois que je t'ai vu, tu ne m'as même pas jeté un regard. Mais grâce au professeur Tan, j'ai pu faire la rencontre de ton Pokémon. Au moins, j'ai pu comprendre que tu partais sur la route.
J'ai remis ce téléphone portable à Sacha pour qu'il te l'offre, afin que je puisse prendre de tes nouvelles.
Je profite de cette lettre pour t'annoncer quelque chose de très important : je vais me marier.
J'espère que tu en es heureux, et que tu pourras interrompre ton voyage pour la cérémonie.
Bon voyage.
Je t'aime, malgré ce que tu peux croire. Ta maman. »

Tout est confus dans ma tête. Quand sa mère m'a-t-elle rencontrée ? Je ne m'en rappelle pas... Dans ce cas, suis-je vraiment le premier Pokémon de Kai ? Et pourquoi en veut-il à Sacha après cette lettre ? J'ai des tonnes de questions à poser, mais je n'ose pas formuler le moindre mot.
Kai ne bouge toujours pas, et je croise le regard de Sacha :
- Sa mère est l'infirmière Joëlle de Hajime. Et je suis son futur époux...
Je ne peux cacher ma surprise. Nezu a un rire presque amusé et je l'entends murmurer
- Je n'étais vraiment pas loin, à quelques détails près...
Il regarde Sacha au fond des yeux. Kai est toujours dans mon dos, il ne bronche pas.

Dans ma tête, les pièces du puzzle se mettent en place. L'infirmière qui m'a soignée est la mère de Kai. Je ne comprends toujours pas pourquoi il est sorti quand sa mère l'a vu par contre... Mais je sais maintenant pourquoi cette lettre l'a mis en colère contre Sacha.
Un silence pesant s'installe. Même Osselait et Nezu n'osent pas intervenir. Sacha caresse machinalement les poils de Pikachu. Kai glisse le long de mon dos, pour que sa tête repose près de mes cuisses. Ses yeux sont rouges d'avoir trop pleuré. Je passe doucement ma main dans ses cheveux, pour essayer de le consoler.
Mon puzzle n'est pas encore terminé, je crois...

J'ouvre mes yeux et observe notre campement. Je suis la seule à être réveillée.
Un peu à l'écart, à droite, dort Sacha. Un sac de couchage enveloppe son corps et celui de son Pikachu.
Un peu plus loin à ma gauche se trouve Nezu. Il est recroquevillé, son corps recouvert de ce qui semble être les vestes de Kai et Sacha.
Je suis moi-même couverte par la couverture de Kai. Quant à lui, il est adossé à un arbre, quelques pas derrière moi. Son corps frissonne légèrement à cause du froid, mais de toute façon je doute qu'il ait beaucoup dormi.
Je décide tout de même de me lever et de lui rendre son sac de couchage. Je le dépose sur son corps en essayant de ne pas le réveiller et, par chance, ses paupières restent closes.
J'attrape Osselait qui était couché près de Nezu et qui s'était levé en m'apercevant, et me dirige vers la forêt.

Arrivé au bord du fleuve, je retire mes chaussures et me trempe les pieds dans l'eau, pour essayer de me détendre. Le contact du liquide frais sur ma peau me fait du bien. Je soupire de plaisir sous le regard du Pokémon crâne.
- Tu me tiens compagnie, c'est gentil...
Il se love contre moi, signe de son bien-être.
Je me remémore les événements de la veille, essayant de mettre un peu d'ordre dans mes idées.
Après que j'ai lu la lettre, Kai s'est couché près de moi pour pleurer. L'atmosphère était très tendue mais personne n'osait parler. Sacha semblait vraiment peiné et il avait l'air de regretter que mon ami ait appris la nouvelle de son mariage.
Le garçon s'est arrêté de pleurer, mais est resté contre moi, le regard dans le vide. Mes paupières se fermaient toutes seules et il le remarqua. Il s'est levé, a attrapé son sac de couchage qu'il m'a tendu, puis a pris celui de Sacha pour lui intimer de se coucher. Se faisant, il a pris sa veste et a arraché des mains celles de son ennemi pour couvrir Nezu, déjà endormi.
Puis il est parti dans la forêt.
Je n'ai pas eu la force de le suivre et je me suis endormie. A son retour, dans un demi-sommeil, je l'ai vu s'adosser à un arbre. Il m'a souri et m'a demandé de me rendormir.

C'est drôle, c'est comme si tout cela c'était passé dans un rêve. Après que j'ai appris que Sacha allait épouser la mère de Kai, plus personne n'a parlé. Je n'ai pas envie que la nuit se termine, je voudrais vraiment que le Soleil tarde à se lever. Mais les premiers rayons dardent déjà à travers les arbres. J'ai peur de l'atmosphère qui pourrait régner aujourd'hui.

Je soupire et m'asperge le visage. Osselait s'agite. Il a entendu du bruit. Il court vers les arbres et une silhouette surgit...

* *
*
* *

Elle est assise au bord de l'eau. Je prends le temps de l'observer un peu, avant de la rejoindre.
Elle n'est pas très grande, mais pas petite non plus. Elle est maigre, bien qu'elle ait pris du poids depuis que nous sommes partis de Hajime. Elle ne possède aucun bijou à ma connaissance et elle est vêtue très simplement : un jean's et un t-shirt qu'elle lave régulièrement et qui semblent usés par le temps. Ses joues étaient un peu creuses, mais elles prennent à présent une jolie teinte rose et un peu plus de rondeur. Son sourire est resplendissant et guérisseur. De magnifiques cheveux châtains encadrent son visage. Ils sont coupés courts, avec derrière des mèches un peu folles, et devant des mèches qu'elle tente tous les jours de dompter. Ses yeux sont d'un bleu profond et envoûtant et même sous son apparence de Pokémon ils accaparent mon regard.

Je m'approche encore un peu et Osselait m'entend. Il vient vers moi et je me décide à sortir de ma cachette. Elle se retourne, surprise, puis me sourit en me reconnaissant.
Je vais m'asseoir à ses côtés en trempant à mon tour mes pieds dans l'eau. Ni elle ni moi ne prononçons un mot. Osselait joue avec un papillon autour de nous et seul les petits cris qu'il pousse rompent notre silence.
Je lui jette un regard et je vois qu'elle était en train de m'observer. Elle tourne la tête vivement, gênée.
- Merci... Pour hier soir...
Je fixe la rive d'en face. Je sens sa surprise.
- Ce n'est rien.
Il y a de nouveau du silence, puis c'est elle qui reprend la parole :
- Tout va bien ?
- Je suis un peu fatigué. Même les lits des centres Pokémon sont plus confortables !
Je tente une plaisanterie, mais ça n'a pas l'air de lui plaire ; elle soupire.
- Je suis sérieuse...
Je ne sais pas quoi lui répondre. Je m'allonge dans l'herbe et ferme les yeux.

* *
*
* *

Il s'est endormi ! Je lui ai posé une question et il ne trouve rien de mieux à faire que de s'endormir !

Je prends le temps de me calmer deux secondes. Il n'a presque pas dormi cette nuit et les récents événements ont dû l'abattre. Tant mieux s'il se repose. Je m'approche de Osselait et lui murmure doucement :
- Je reviens... S'il te plait, veille sur lui.
Le Pokémon hoche la tête et va se poster près du corps de son maître endormi. Je retourne vers notre campement d'un pas pressé.

A mon arrivé, je vois que Nezu et Sacha sont eux aussi réveillés. Je n'y avais pas prêté attention, mais le jour est déjà levé à présent. Je n'ai pas vu le temps passer, ma méditation a duré plus longtemps que je ne l'aurais cru.
Nezu vient me saluer tout sourire.
- Bonjour Kathy ! Je suis content de te voir ? Tu as passé une bonne nuit ? Où est Kai ?
Il n'attend pas que je lui réponde. Il regarde dans la direction d'où je viens et s'y dirige.
- Attends !
Je l'attrape par l'épaule pour le rattraper. Il s'arrête.
- Ne le réveille pas...
Il acquiesce et part en direction de la rivière.

Je m'assois près de Sacha qui rassemble ses affaires.
- Tu t'en vas ?
- Je crois que Kai n'a aucune envie que je reste...
Nous nous regardons un instant.
- Moi je pense que tu te trompes. Hier, il ne t'a fait aucun mal, il était juste en colère.
- En colère à cause de m...
- A cause de sa mère...
Aucun de nous ne parle pendant plusieurs minutes. Je tente de le questionner :
- Il s'est passé autre chose que... ta relation entre sa mère et toi ?
- Oui...
Je voulais continuer mon interrogatoire, mais Nezu revient déjà, accompagné de Kai et Osselait.
Je redoute le moment où leurs regards vont se croiser, mais pourtant rien ne se passe.
- Sacha, pourrais-tu rallumer un feu le temps que j'aille ramasser des baies ? Une compote pour le petit déjeuner, c'est une bonne idée, non ?
Je reste figée. Kai vient de s'adresser à Sacha GENTIMENT. Il vient de lui parler comme il m'aurait adressé la parole. Je ne comprends pas.
L'homme est dans le même état que moi. Il hoche la tête et se met à l'ouvrage.
- Nezu, s'il te plait, pourrais-tu aider Sacha ? Moi je vais accompagner Kai, d'accord ?
Le petit garçon est heureux de pouvoir parler avec son héros et accepte sans hésiter.

* *
*
* *

- C'était purement égoïste...
- Quoi ?
Elle m'avait accompagné cueillir des baies et n'avait pas parlé depuis notre départ du campement.
- Je me doute que tu ne m'as pas accompagné parce que tu voulais te perfectionner dans l'art de reconnaître les fruits comestibles... Donc je réponds à ta question silencieuse : ma réaction a été purement égoïste.
- Et pourquoi ?
- Tu ne comprends donc pas ?
Elle réfléchit quelques secondes avant de secouer la tête avec ferveur.
- Si je suis gentil, il va peut-être rester. Et tant qu'il est ici, il n'est pas là-bas...
Elle ouvre de grands yeux.
- Ne me juge pas. C'est inconscient... Mais ça fait si mal de l'imaginer avec elle... Même si ce n'est plus ma mère...
Elle me jette ses baies et retourne au campement l'air énervé.
- Mais attends ! Qu'est-ce que j'ai dit ?
Elle ne me répond pas. Je prends le temps de ramasser ses baies que j'ajoute aux miennes et la rattrape en courant.


- Dis-moi ce que j'ai dit de mal !
Nous arrivons près du feu que les deux autres ont réussi à allumer. Ils nous regardent, surpris.
- Comment oses-tu dire ça ?
- Mais dire quoi bon sang !
Je ne comprends pas.
- Comment oses-tu dire que ce n'est pas ta mère !
Sacha se lève brusquement. Je lui tends les baies pour lui donner de quoi s'occuper. J'ai une envie de hurler et j'ai toutes les peines du monde à garder mon sang-froid.
- Tu ne connais rien des rapports que j'entretiens avec ma mère !
Elle se place face à moi et plante ses yeux dans les miens.
- Tu AS une mère !
- Non...
Ma voix n'est qu'un murmure comparé à la sienne dans laquelle elle met tant de ferveur.
- Tu ne te rends pas compte ! Tu ne sais pas pourquoi je me trouvais chez le Professeur Tan... Et bien je vais te le dire ! J'ai fouillé dans ses poubelles et il m'a entendu. Je cherchais à manger, dans ses POUBELLES ! Et tu veux savoir pourquoi ? Parce que moi je n'ai PAS de mère ! Je n'ai pas de PERE ! J'ai vécu dans la rue presque toute ma vie ! Alors mets-toi ça dans le crâne ! C'est ta mère et je t'interdis de parler comme ça !
Elle pleure et s'écroule. Je la prends dans mes bras, complètement abasourdi par son discours.

Elle vient de la rue... Je n'ai jamais voulu la blesser. J'ai des problèmes, mais elle aussi a les siens. J'aurais du faire plus attention à tout cela. J'ai été stupide...

* *
*
* *

Hier soir il sanglotait contre elle, aujourd'hui elle pleure contre lui. Ces deux là m'étonneront toujours.
Après qu'elle a fini de pleurer, nous nous mettons à manger. Chacun de nous quatre essaye tant bien que mal de détendre l'atmosphère si tendue.
Au bout d'un moment, je tente de poser la question qui me brûle la langue depuis pas mal de temps :
- Je voudrais un Pokémon...
Trois regards étonnés se sont tournés vers moi. Ma question était bien évidemment sous-entendue : qui peut m'aider à capturer un Pokémon.

Sacha est d'accord. Kai est réticent. Kathy est effrayée.
- C'est une bonne idée. Les Pokémon t'aideront à grandir !
- Pourquoi faire ?
- Mais enfin Nezu ! Le monde des dresseurs est dangereux ! Tu es petit encore !
J'argumente, décidé à obtenir ce que je veux. Et au bout d'une heure, Sacha me tend une pokéball.
- Cadeau. Nous irons te capturer un Pokémon tout à l'heure. Mais je dois régler quelque chose d'abord...
Je ne m'occupe pas des trois autres. Je suis trop impatient. Je cours dans la forêt, mais je marche bientôt sur quelque chose, malencontreusement.
Une douleur atroce me brûle la jambe et se répand dans tout mon corps.
Je hurle.

* *
*
* *

Nezu a échappé à ma surveillance. Je n'ai pas envie qu'il ait un Pokémon. Je dois veiller sur lui, j'ai l'impression que c'est quelque chose de très important.
S'il possède son propre Pokémon, il va partir, sans Kathy et moi.
Comme je dois aider mon amie à retrouver forme humaine, je dois l'aider lui à se rendre à Kitakaze, je me le suis promis.
Nous l'avons presque rattrapé, quand nous l'entendons crier.

J'arrive le premier, les deux autres me suivent.
Je m'arrête de stupeur. Nezu gît par terre, avec un Seviper près à nous sauter à la gorge si nous l'approchons. Près de sa cheville, son pantalon déchiré laisse apparaître deux entailles sanguinolentes.
Le venin de Seviper se répand lentement dans le corps de l'enfant...

- Ne bougez surtout pas !
Nous sommes tous les trois autour du Seviper et de Nezu. Nous attendons sans respirer.
- Pikachu prépare-toi...
Mais Seviper sent la réaction du Pokémon électrique et commence déjà à s'interposer. Cela va se jouer à la vitesse...
Le serpent se jette sur Sacha, mais la souris ne l'entend pas de cette oreille et réagit d'une fatale attaque électrique. Les crocs du Seviper n'étaient qu'à quelques centimètres de la gorge du garçon.
- Dépêchez-vous ! Je n'ai pas envie qu'il se remette debout et nous attaque de nouveau, ni de faire une autre rencontre de ce type !
Sacha a raison. J'attrape Nezu et nous nous éloignons rapidement.
Mais Kathy, à juste titre, panique.
- Son front est brûlant. Il a du venin dans le corps ! Il faut l'emmener à l'hôpital !
Sacha et moi nous regardons.
- Il faut retourner à Kajuu, il y a un grand hôpital là-bas...
Sacha m'approuve d'un hochement de tête.
- C'est bien trop loin pour qu'on y aille à pied. Je vais l'y amener à dos de Roucarnage.
Kathy pose sa main sur mon épaule. Je sais qu'il a raison, mais je reste sceptique malgré tout.
Je prends une grande respiration.
- Très bien. Emmène-le là-bas le plus vite possible. Vous n'aurez qu'à nous retrouver dans la prochaine ville.
Il appelle son Pokémon oiseau et grimpe sur son dos. Je hisse Nezu près de lui. Il cherche une position plus agréable pendant quelques secondes, tandis que l'enfant essaye de s'accrocher tant bien que mal avec ses dernières forces.
Puis ils s'envolent, nous laissant seuls Kathy et moi.

Nous marchons depuis pas mal de temps déjà, en silence. Osselait marche à nos côtés et lorsqu'il est trop fatigué, Kathy le prend dans ses bras pendant un moment
- Je suis désolé pour tout à l'heure. Je ne voulais pas te blesser...
Elle ne dit rien.
- Ne m'en veux pas à cause de ça, s'il te plait. Entre ma mère et moi, c'est... compliqué. Mais si j'avais su... Je n'aurais jamais dit ça. Pardonne-moi...
Elle s'arrête et soupire. Elle plante son regard dans le mien.
- Ca ne fait rien. Tu ne pouvais pas savoir de toute façon...
Le silence retombe. Nous avançons à nouveau, un peu plus tendus encore.
Je ne sais pas quoi lui dire. Mais je ressens un sentiment étrange, comme si j'avais envie de lui offrir ce qu'elle n'avait jamais pu avoir.
Je m'arrête, elle se retourne vers moi.
- Pourquoi tu t'arrêtes ?

* *
*
* *

Il s'est arrêté. Il me fait un grand sourire puis s'approche de moi, comme s'il voulait ... me serrer dans ses bras ?
Un drôle de bruit l'interrompt.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Ca vient de ta poche !
Il fouille dans sa poche et en sort le téléphone portable qu'il a reçu la veille.
Il décroche mais ne dis rien. Le son est fort, je parviens à entendre.
- Allô ? Kai ? Allô ! C'est Sacha ! Tu m'entends ?
- Ah... heu... Oui !
Je m'approche. Je suis morte d'inquiétude pour Nezu, j'ai besoin d'entendre de ses nouvelles.
- Je suis arrivé à l'hôpital. Un médecin a pris Nezu tout de suite en charge. Il avait une très forte fièvre, mais le fait qu'il se soit fait mordre à la cheville a joué en sa faveur. Et vous de votre côté, tout va bien ?
- Tout va bien. On s'inquiétait juste pour N.. pour vous deux.
Il y a un silence.
- J'aurais dû vous laisser Pikachu. J'ai peur que vous vous fassiez encore attaquer.
- J'ai Osselait.
- Ecoute, je peux demander à Roucarnage de vous apportez l'un de mes Pokémon. Je serais bien plus rassuré comme ça. Tu n'es pas très en forme, Osselait n'est pas très entraîné. Ca serait mieux comme ça.
Il ne répond pas. J'essaye de le forcer à parler, alors il me tend son téléphone.
- Salut Sacha ! C'est en effet une bonne idée et c'est très gentil de ta part.
- Très bien. Je vous envoie Roucarnage et Pikachu. Ils survoleront la forêt à votre recherche, ils vous trouveront, ne vous en faites pas. A plus tard !
- A plus tard !
Kai récupère le téléphone et se remet en marche, l'air renfrogné.

* *
*
* *

- Tu ne veux pas me dire ce qu'il s'est passé pour que tu en veuilles ainsi à Sacha ?
- Tu ne veux pas me dire ce qu'il t'est arrivé pour que tu vives dans la rue ?
Elle râle.
- Si tu le prends comme ça, je le demanderai à Sacha !
- Tu ne le feras pas.
- Et pourquoi ça ?
- Parce que tu sais que je ne veux pas que tu le fasses. Alors tu ne le feras pas.
Elle semble résignée. Nous marchons en silence au bord de la route qui traverse la forêt. D'un commun accord, nous avons choisi ce chemin, car il représente un danger moindre en ce qui concerne les rencontres fortuites avec des Pokémon sauvages.
La journée défile sans que Roucarnage ne pointe le bout de ses ailes et la nuit commence à tomber.

Au loin, nous entendons les sirènes de voiture. Elles se rapprochent. Nous apercevons bientôt leur lumière. Nous nous arrêtons et attendons.
- Je me fais du souci. Roucarnage et Pikachu ne sont toujours pas là...
Kathy a peur. Elle m'attrape la main et serre très fort mes doigts.
Devant nous défilent à présent plusieurs camions de pompiers, des ambulances, la police...
A la fin de cette procession, une femme à mobylette nous aperçoit et s'arrête.
- Qu'est-ce que vous faites ici les enfants ?
- Nous allons à Kiseki. Qu'est- ce qui se passe ?
Kathy se blottit encore plus contre moi.
- Des problèmes à Kajuu... Ils ont besoin de renforts.
Elle me serre à présent tellement les doigts que j'ai l'impression qu'elle est en train de me les broyer.
Quant à moi, j'ai peur de comprendre. Je suis pris de vertiges et je tente tant bien que mal de rester debout.
- Des problèmes ?
L'agent soupire.
- Oui, une attaque sur la prison. Je n'ai pas le temps de vous expliquer. C'est trop dangereux de rester ici. Je vous ramène à Kiseki, grimpez !
Une attaque, sur la prison... J'aurais pu empêcher tout ça. Je me sens responsable.
J'ai la tête qui tourne.
Je lutte pour ne pas m'évanouir, quand quelque chose s'écrase juste à côté de nous.
Kathy ne peut retenir un cri de surprise.

A côté de nous viennent de tomber Roucarnage et Pikachu. Kathy est à peine sortie de sa torpeur qu'elle se jette à leur côté.
- Bon sang ! Je comprends qu'ils aient mis autant de temps à nous rejoindre...
Kathy ne répond pas. Elle tremble.
L'agent s'approche de moi et m'interroge.
- Ce sont vos Pokémon ?
Je tente de lui résumer rapidement la situation.
- Vous ne pouvez pas rester ici. Je vous emmène à Kiseki. On ne sait jamais...
- Et les Pokémon ?
- Vous n'avez pas une potion ? Je ne peux pas tous vous transporter... Surtout compte tenu de l'envergure de l'oiseau...
Je réfléchis à deux cents à l'heure.
- Emmenez déjà Kathy s'il vous plait ! Je veillerai sur les Pokémon pendant ce temps. Voici de l'argent pour acheter quelques potions.
- Tu es bien autoritaire. Mais c'est d'accord.
Kathy continue de sangloter pendant que l'agent l'aide à s'installer sur la mobylette.
Je les regarde partir sans un mot.

Je ne sais pas quoi faire. Je ne peux pas attendre sans rien faire. Je sors mon téléphone portable de ma poche et cherche le numéro de Sacha.
A l'intérieur de l'objet, j'entends la sonnerie. Une fois. Puis deux. Puis trois... Au bout de six coups, la voix automatique de la messagerie me parvient.
Je cède à la panique.

**
*
**

J'ai peur. J'ai peur pour Nezu, j'ai peur pour Sacha, j'ai peur pour Kai. L'agent me murmure des paroles réconfortantes, mais rien n'y fait.
Nous sommes enfin arrivées à Kiseki. Comprenant que je n'ai vraiment pas envie de rester seule ici, elle me propose d'aller chercher une voiture afin que je puisse rester avec elle pour aller chercher les autres, pendant que j'irai acheter les potions. Je lui souris. Elle est vraiment très gentille.

Nous nous dépêchons. Nous ne voulons pas trainer. Moi en tout cas. Je cours dans tous les sens. Je ne tiens pas en place. Mais au moins, j'ai quelque chose à faire, ce qui me permet de me calmer un peu.
Je monte dans la voiture. Je suis dans un état second, je ne me rends compte de rien. Le temps n'a plus d'impact sur moi. Je suis autre part.

Nous arrivons enfin là où nous avons laissé Kai quelques dizaines de minutes auparavant. Mais il n'est plus là...

**
*
**

J'ai laissé Roucarnage et Pikachu seuls. Je les ai installés sous un arbre, un peu à l'écart. Et je suis parti.
Je cours à présent. Je regrette d'avoir laissé Kathy comme ça. J'espère qu'elle comprendra...
J'entends de l'agitation. La ville ne doit plus être loin. Ce n'est pas le moment de ralentir. Je rassemble mes forces et j'accélère ; je dois en avoir le cœur net.

**
*
**

Il m'a laissée ici. Seule. Mais est-ce un acte volontaire ? Ou est-ce qu'il lui est arrivé quelque chose ? J'ai peur. Je craque.
Sous un arbre, je retrouve Roucarnage et Pikachu. Je les asperge de potions et les regarde se rétablir.
- Ils auraient besoin de moi là-bas ! Avec vos histoires, je perds un temps fou ! Et le garçon qui a disparu ! Mais qu'est-ce que je vais faire moi !
L'agent râle. Je la comprends. Je m'approche d'elle.
- Emmenez-moi avec vous s'il vous plait. Allons à Kajuu, je voudrais être utile aussi. Je vous jure de ne pas vous gêner ! Si la situation est aussi grave que vous avez l'air de le penser, vous aurez bien besoin de bras supplémentaires !
Elle soupire et me dévisage. Je prends un air résolu.
- C'est d'accord.


Je suis donc montée en voiture avec elle, pendant que Pikachu et Roucarnage nous suivaient dans les airs. L'agent, qui s'appelle en réalité Isabelle, roule à une vitesse effrayante, si bien que je suis obligée de me cramponner à mon siège pour ne pas me cogner dans les virages.
Soudain, elle ralentit brutalement. Je manque d'atterrir dans le pare-brise.
- Que se passe-t-il ?
- Ton ami, là !
Kai est sur le bord de la route. Il me fixe, l'air honteux. Je me précipite sur lui.
- Qu'est-ce que tu fais ici ? Je me suis fait du souci ! Tu ne te rends pas compte ! Tu es inconscient ! Et égoïste !
Les larmes me montent aux yeux. Je lève la main sur lui.

**
*
**
Elle m'a giflé. Elle pleure. Je ne sais pas quoi faire.
Alors je la prends dans mes bras. Et je murmure doucement dans son oreille.
- Je t'expliquerai. Oui, je t'expliquerai des tonnes de choses. Et j'espère que tu me pardonneras. Je ne veux pas que tu sois mêlée à tout ça. Je n'ai pas envie qu'il t'arrive quelque chose. Pardonne-moi...
L'agent nous interrompt.
- Bon, les enfants. Il y a urgence !
Je la regarde, puis Kathy et moi grimpons en voiture.

**
*
**
Isabelle démarre en trombe. Un regard dans le ciel m'a permis de vérifier que Roucarnage et Pikachu nous suivaient toujours.
Kai regarde par la fenêtre. Il a l'air tendu. Ses poings sont serrés, on dirait qu'il est prêt à bondir.
Nous arrivons enfin à Kajuu, en même temps que les derniers rayons du Soleil se cachent derrière l'horizon. Le spectacle est bien pire que je ne l'avais imaginé...

Il y a les va-et-vient permanents des policiers sur les décombres de la prison. Des habitations, le commissariat et une partie de l'hôpital sont eux aussi en ruines. Au loin, j'aperçois une foule de personnes qui s'éloignent. Quelques individus seuls errent parfois sans but. Des ambulanciers, des médecins et des infirmières, que ce soit pour humains ou pour Pokémon s'affairent partout. C'est la cohue. Des pompiers terminent d'éteindre des départs d'incendies, des Capidextre et des Caninos fouillent les décombrent à la recherche de blessés en quête d'aide.
Je m'écroule par terre. Pikachu vient se blottir contre moi. Kai me regarde et appelle Osselait pour qu'il vienne lui aussi me réconforter.
Kai a l'air, quant à lui, préoccupé par autre chose que la catastrophe.

Il sort son téléphone portable et cherche frénétiquement un numéro. Il porte l'objet à son oreille et attend.
Je n'ai pas le temps de le questionner, qu'une jeune fille passe devant nous et regarde fixement Kai. Il lâche son portable en tremblant.

**
*
**
Chi. C'est elle. Je la reconnais. Ses cheveux roses, son sourire sadique, son regard diabolique. Elle me nargue. Et Sacha qui ne répond toujours pas à son portable. Je n'en peux plus.
L'agent qui nous a emmenés est à présent bien trop occupée pour faire attention à nous. Laissant Chi s'éloigner, j'attrape Kathy par le poignet et la tire à l'écart.

- Qu'est-ce qui se passe ? Tu la connais cette fille ?
- Je ...
- Explique-moi ! Tu m'as dit que tu m'expliquerais ! Alors fais-le ! Maintenant !
Je soupire. A quoi bon ? De toute façon il est trop tard maintenant.
- Ne me juge pas. S'il te plait.

**
*
**

Pourquoi est-ce que je le jugerais ? Il s'assoit par terre, la tête dans les mains. Je m'installe à côté de lui et attends.
- Tu te rappelles quand je suis revenu blessé dans cette ville après être parti à la recherche d'Osselait ...
- Comment veux-tu que j'oublie ça ? Ton corps en est encore recouvert de cicatrices...
- Bref... Les bandits étaient partis à la recherche d'Osselait. J'ai donc essayé de les éviter. Et quand j'ai enfin retrouvé mon Pokémon, ils sont arrivés près de moi. Ils ont fini par me mettre la main dessus. Ils m'ont battu et emmené à leur campement... J'ai repris connaissance là-bas et...
- Et ?
- Ils voulaient me tuer car j'avais entendu des choses que je n'aurais pas dû entendre. Et...
- Quel genre de choses ?
- Des choses comme une attaque sur la prison de Kajuu avec des explosifs ...
- Et pourquoi tu n'as rien dit ? Tu es fou !
- Attends ! Laisse-moi finir, s'il te plait.
Il tremble encore.
- J'étais dans ce campement quand la fille que nous venons de croiser est venue. Elle m'a attiré à l'écart. Elle m'a montré une photo de toi et Nezu au centre Pokémon et elle m'a dit que si leur plan échouait, elle m'en tiendrait pour responsable... Et qu'elle viendrait se venger sur vous. Je ne voulais pas que vous soyez mêlés à ça...
- Il s'est passé quelque chose encore ensuite ?
- Elle m'a emmené voir le chef de la bande, qui est en réalité son père. Il m'a bien fait comprendre qu'ils nous tueraient tous s'il y avait un problème. Puis elle m'a emmené à nouveau dans la forêt, jusqu'à Kajuu. Je me suis pris encore quelques coups et elle m'a laissé ce magnifique souvenir sur le bras...
Il détourne le regard. Il a vécu tout cela et il n'a rien dit. Pour nous protéger, il a tout gardé pour lui.
Je me lève.
-Tu as encore des tonnes de choses à m'expliquer. Mais pour l'heure il faut retrouver Sacha et Nezu... Ensuite on trouvera un plan.
- Un plan ?
- Oui, un plan. Il va falloir te venger. Et venger cette ville !
Il me regarde, stupéfait, et se lève à son tour.

~~ Chapitre XVII : Téléphone  

Elle me surprendra toujours je crois. Après avoir encore essayé plusieurs fois de joindre Sacha par téléphone sans succès, Kathy a décidé d'aller enquêter à l'hôpital. Le seul problème c'est que tout le monde est bien trop affairé avec la catastrophe pour répondre à nos questions. D'un commun accord, Kathy continue donc seule l'enquête pendant que j'aide comme je peux dans la ville.

Pikachu est parti aider les autres Pokémon électriques pour que la ville puisse bénéficier d'électricité malgré les installations touchées. Roucarnage, quant à lui, survole la ville et ses alentours à la recherche d'éventuels traces et indices. Osselait est avec Kathy, et moi je me tiens près  de l'agent qui nous a conduits en voiture jusqu'ici.
- Emmène ces papiers là-bas, dans la maison tout au bout.
- D'accord.
J'exécute les ordres que l'on me donne. Sans broncher. Je me sens terriblement coupable. La « maison tout au bout » est en fait un local reconverti pour le coup en maison de repos pour les policiers, ambulanciers et autres, afin d'assurer une certaine relève. Je m'y introduis doucement. C'est l'agent Jenny de Kajuu qui m'accueille. Sous ses yeux rougis par la fatigue, je peux voir d'horribles cernes. Elle a le bras en écharpe. Mais elle est en vie.
- Bonjour... On m'a demandé de vous apporter ceci ...
Elle me regarde droit dans les yeux, le regard dans le vague, et attrape les papiers que je lui tends. Elle les lit brièvement avant de me congédier, je repars en soupirant.

Je suis perdu dans mes pensées, lorsque quelqu'un m'attrape par l'épaule :
- Viens, je crois que tu as grand besoin de manger.
L'infirmière Joëlle me sourit timidement. Je serais tenter de refuser, mais mon estomac crie famine, si bien que je décide finalement de la suivre.
Nous nous asseyons à une table dans le centre Pokémon, rempli de Pokémon épuisés ou blessés.
Elle se propose de m'offrir à manger, n'ayant pas d'argent, je ne peux guère refuser.
Au bout de plusieurs minutes de silence, elle se met à parler.
- Tu ne te souviens toujours de rien?
La question fatidique. Je ne sais pas quoi répondre.
Par chance, j'aperçois Kathy qui arrive vers moi en courant. Sauvé par le gong.
- Kai ! On m'a dit que je te trouverai ici ! Nezu a été transféré au centre Pokémon de Hajime, c'est là qu'ils ont envoyé les blessés puisqu'ici le centre est déjà plein. Personne n'a vu Sacha. Après l'explosion, il semble qu'il se soit dirigé vers la forêt...
Hajime... Il n'y a pourtant pas une seule minute à perdre. Je réfléchis en quatrième vitesse.
L'infirmière Joëlle installe Kathy à table, pendant que celle-ci lui explique la situation. Je me lève et la regarde dans les yeux.
- Kathy... Je vais demander à Roucarnage de te déposer à Hajime, tu vas y rejoindre Nezu. De là-bas tu pourras m'appeler pour me donner de tes nouvelles, ainsi que des nouvelles de Nezu. Quant à moi... Je vais partir chercher Sacha.

* *
*
* *

Je n'ai pas envie de me séparer de lui. Je n'ai pas envie de partir seule à Hajime. Je n'ai pas envie de le savoir dans cette forêt, alors que les personnes qui lui ont voulu tant de mal ne sont sûrement pas loin. Pourtant, je sais que c'est la meilleure solution. Je sais qu'il ne supportera pas d'affronter sa mère maintenant. Je sais qu'il a besoin de partir aider Sacha. Je sais qu'il a besoin de se venger. Seulement, je sens que le moment de sa vengeance n'arrivera pas aujourd'hui qu'il devra encore attendre. Mais je ne sais pas comment expliquer cela, c'est comme un pressentiment, quelque chose d'inexplicable.
Je soupire.
- C'est d'accord... Mais tu emportes Pikachu avec toi. Je garde Osselait. Contrairement à toi, je ne risque pas grand chose.
Il hoche la tête.
L'infirmière Joëlle n'y comprend plus rien.
- J'ai besoin d'une explication...
Mais Kai est déjà parti.
- Plus tard. On vous expliquera. Mais le temps presse. Nous sommes désolés de partir comme ça. Bon courage pour la suite !
Elle sourit quelque peu et me regarde franchir le seuil du centre Pokémon.

* *
*
* *

J'ai peur tout seul.
Après l'explosion, Sacha s'est assuré que j'allais bien, m'a accompagné jusqu'à l'hélicoptère qui m'a emmené jusqu'ici et a disparu.
J'ai encore mal. La douleur n'a plus rien de comparable. Mais j'ai mal. Et j'ai peur.
Dans le couloir, j'entends les pas agités des médecins et des infirmières. Certains patients ont eu moins de chance que moi...
Le rythme de leurs pas fait palpiter mon cœur. Et augmente ma peur.

* *
*
* *

La cohue s'est quelque peu calmée dehors. Les décombres ont été dégagés et les blessés, humains ou Pokémon, ont tous été transférés où ils pourraient être soignés. Seuls les policiers continuent leurs rondes, à la recherche du moindre indice qui aurait pu leur échapper et qui pourrait les mettre sur la trace des brigands.
Cette vision me serre le cœur, mais me permet de partir l'esprit un peu plus tranquille : ils n'ont plus besoin de nous ici.

Kai a appelé Roucarnage et a été cherché Pikachu. Il leur a expliqué en quelques mots la situation et nos deux compagnons semblent avoir compris leurs missions respectives.
Il m'aide à grimper  sur le dos de l'immense oiseau.
- S'il te plait, prends soin de toi...
En disant ces mots, ma voix se brise. J'ai terriblement peur pour lui. Il serre ma main très fort.
- Ne t'en fais pas. Je serais prudent. Toi aussi fais attention à toi. Et prends soin de Nezu. On reste en contact !
Nous décollons. Il nous suit du regard, avant d'attraper Pikachu et de partir.

C'est la première fois de ma vie que je vole. Roucarnage va vite. Très vite. Je dois m'accrocher très fort à son coup pour ne pas tomber. Mais les sensations que je ressens sur son dos sont incomparables. Le paysage défile à une allure impressionnante. Pourtant, je ne manque aucun des détails qui le constituent. Je vois de petits lacs, où des Pokémon viennent se désaltérer. Je vois les nids des Nirondelles, nichées dans les arbres, qui tentent de venir saluer Roucarnage qu'elles n'arrivent pas à rattraper. Je vois les Papillusions butiner les fleurs. Tout cela est si magnifique, qu'un instant j'oublie tout le reste et savoure l'harmonie de ce monde.
Je vois des hommes qui marchent. Je vois un feu de camp. Je vois cette drôle de fille. Et soudainement, le charme se brise. Et j'ai peur.

* *
*
* *

Pikachu sur mon épaule, je cours à travers les arbres. Je cours sur ces sentiers que j'ai déjà empruntés. Je dois trouver Sacha. S'il lui arrive quelque chose, ce sera de ma faute. Malgré ce qui s'est passé, je ne souhaite pas qu'il lui arrive malheur.
Mon corps ne s'est pas assez reposé. Je sens les courbatures de mes courses précédentes. Chacune de mes blessures semble se réveiller doucement, j'ai l'impression d'irradier. Tout cela augmente mon envie de vengeance et mon besoin de retrouver Sacha. Je maintiens donc mon allure.

Le Pokémon souris semble à l'affut. Lui aussi s'inquiète pour son maître. Bientôt il m'arrête et saute au sol. Il renifle la terre à la recherche du jeune homme. Je le suis, tout en reprenant mon souffle.
Au bout d'une heure de recherche derrière Pikachu, nous trouvons enfin Sacha.
- Sacha ! Je me suis fait un sang d'encre ! Pourquoi tu ne répondais pas au téléphone bon sang !
- Désolé... J'ai vu Roucarnage  survoler la forêt avec Kathy sur son dos. Je me suis dit que tu allais sûrement arriver, alors je t'ai attendu. Je ne me suis pas trompé.
Je soupire.
- Tu as trouvé une trace des bandits?
- Pas encore.
- Leur campement était établi plus haut la derrière fois, peut-être devrions-nous aller faire un tour là-bas pour commencer?
Je me rends compte que ma réflexion entraîne des questions, mais il est trop tard.
- Leur campement ? Comment ça ? Explique-moi comment tu sais ça ! Et pourquoi ton corps est recouvert de tant de blessures !
Une fois encore je soupire. Comme pour Kathy, je lui explique ce qu'il s'est passé. Kathy et Nezu seuls au bord du sentier, Osselait qui m'a permis de m'en sortir, ma course à travers la forêt pour le récupérer, ma capture, ma libération ...
- Je ne pouvais rien dire ! Je... je ne savais pas quoi faire... Tout est ma faute...
Il s'est passé trop de choses depuis que je suis parti, je craque. Je me mets à pleurer doucement, de douleur et de culpabilité. Sacha pose une main sur mon épaule.
- Il est trop tard maintenant. Ca ne sert à rien de culpabiliser. Il faut les empêcher de recommencer. C'est la seule chose qui reste à faire.
Je me calme un peu et nous commençons à marcher.

Je guide Sacha à travers le bois. J'ai quelques difficultés à me repérer, puisque la dernière fois, il faisait nuit et je faisais le chemin dans l'autre sens, guidé par Chi.
Malgré tout, je suis sûr de moi. J'ai l'impression d'être attiré par cet endroit. Je ne peux pas me tromper. Je me fis à mon instinct.

- Comment allait Nezu ?
Le médecin a dit que nous étions arrivés à temps et que cette morsure n'aurait pas de conséquences néfastes pour lui.
- Très bien.
Le silence est pesant. Dans la forêt, pas un seul bruit ne retentit.
- Sacha...
- Oui?
- Félicitations...
- Pardon?
- Pour le mariage. Félicitations.
- Je ... Heu... Merci.
- Malgré tout, je préfère que ma mère se remarie avec toi.
Il marque une pose. Mes paroles sont sincères. Je sais qu'il a du mal à le croire.
- Je sais que j'ai mal réagi. Mais sache que je serais là le jour J...
Il me prend dans ses bras.
- Merci... C'est le plus beau cadeau que tu puisses nous offrir. Surtout à ta mère.
J'interromps son étreinte.
- Nous devrions continuer nos recherches...
Il hoche la tête. Nous continuons d'avancer en silence, à l'affut du moindre bruit.

* *
*
* *

Seize heures tapantes. Je viens tout juste d'arriver au centre Pokémon d'Hajime. Roucarnage n'est pas encore reparti. Ses vols incessants l'ont épuisé, il a besoin de se reposer.
Je rentre dans le centre et me fais accueillir par un visage qui m'est familier.
- Bonjour ! Vous désirez quelque chose?
- Je viens voir un ami, Nezu.
- Veuillez me suivre, je vais vous indiquer sa chambre.
La mère de Kai est souriante et chaleureuse. Mais je sens une certaine tension dans sa voix.
- Puis-je vous poser une question?
- Allez-y...
- Ce Roucarnage, est-il à vous? Il m'est tellement familier...
Dois-je lui dire la vérité ?  Je ne sais pas quoi répondre. Elle interrompt mes pensées.
- Etes-vous... Etes-vous Kathy?
Je suis plus que surprise.
- Oui c'est bien cela.
Nous arrivons devant une chambre.
- Com... comment va mon fils? Je m'inquiète tellement...
Sa réaction me prend au dépourvu. Elle a les yeux plein de larmes. Elle n'a rien à voir avec l'image d'elle que me renvoyait Kai.
- Il...Il va bien. Il est parti rejoindre Sacha... Fél... Félicitations pour votre mariage d'ailleurs.
- J'espère que vous viendrez à la cérémonie.
Elle me sourit et me prend dans ses bras. Je suis complètement déstabilisée. Je sens qu'elle aurait envie de discuter encore avec moi, de me poser des questions, mais déjà on l'appelle ailleurs. Je pénètre dans la chambre.

- Kathy ! Je suis si heureux de te voir !
Nezu est couché, les yeux rougis, mais son visage est illuminé d'un sourire radieux.
- Moi aussi je suis contente de te voir. Comment vas-tu?
L'enfant m'explique son vol à dos de Roucarnage, son arrivée à l'hôpital, les soins qu'on lui a apportés, son transport ici. Il a l'air d'aller beaucoup mieux.
Je prends donc le téléphone de la chambre pour appeler Kai. Un coup. Deux coups. Trois coups. La messagerie.
Je n'y comprends rien...

* *
*
* *

Seize heures pétantes. Sacha est moi avons trouvé leur camp. Par chance, ils se sont établis au même endroit que la dernière fois.
Nous sommes tapis, un peu plus loin, à la recherche d'un plan. Nous parlons à voix basses.
- Ils sont moins nombreux que la dernière fois. Et je n'ai pas aperçu la tente de leur chef. Peut-être se sont-ils séparés...
- Dans ce cas, il va déjà falloir neutraliser ceux-là et trouver le reste de leur bande avant que ceux-ci les aient prévenus.
Un bruit de pas. Nous nous taisons. Le silence. Nous reprenons.
- Tu as une idée?
- Je peux me servir de mes Pokémon... Mais notre seul avantage est notre effet de surprise.
A nouveau des bruits de pas. Plus légers. Mon souffle se coupe.

Quelqu'un sort de derrière un buisson et se poste devant moi, accroupi.
- Qu'est-ce que tu fiches ici, abruti?
Chi... Encore elle.
- Tu vas m'attirer des ennuis ! Si les autres savent que je ne t'ai pas tué, ça ira mal pour moi ! Et mon père n'est pas là pour me défendre ! Déguerpis ! Tu n'arriveras à rien ici !
Ni Sacha ni moi n'osons bouger.
A nouveau des bruits de pas, plus nombreux, plus lourds. Chi a parlé trop fort.
Flut, flut, flut !
Elle sort sur le sentier.
- Vous laissez le camp sans surveillance?
- On a entendu du bruit.
- Je me suis cogné le pied contre une racine, j'ai donc parlé toute seule. Cela te pose-t-il un problème?
Pourquoi nous couvre-t-elle? Il serait tellement plus facile de dire que je lui ai échappé...
- Mouais... Tu es bizarre. Tu nous caches quelque chose...
- Tu m'accuses? Moi? La fille du chef?
- Arrête de nous sortir toujours cette vieille excuse !
Je ne les vois pas. Mais je sens la tension entre eux. Le silence est pesant. Mais soudain, un étrange bruit résonne dans la forêt.
Une sonnerie. Une fois. Je suis comme paralysé.
Deux fois. Sacha plante son regard dans le mien. Je commence à réagir.
Trois fois. Je coupe le téléphone. Mais il est trop tard. Déjà les hommes surgissent par dessus notre cachette...

Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas eu des nouvelles de Kai et Kathy. Quelques jours après leur départ, un dénommé Sacha est venu me rendre visite, envoyé par le professeur Chen. Il connait les deux enfants. Je me souviens de sa visite, une aura de confiance émanait de lui.
Nous avons discuté d'eux. J'ai senti qu'il savait.
Il a pris un dossier sur mon bureau, je ne voulais pas qu'il le lise.
Sur la couverture de celui-ci, on pouvait lire :
« Dossier K : Pokémon, humain et métamorphose. »
Il s'était retourné vers moi et m'avait souri.
- Kai et Kathy forment un drôle de duo n'est-ce pas.
J'avais poussé un soupir de soulagement...

* *
*
* *

Ils se tiennent à présent devant nous et nous menacent de leur hauteur. A côté de moi, je sens Pikachu prêt à attaquer. Mais l'un des hommes porte la main à sa ceinture. La souris bat en retraite et fuit dans les buissons. Alors le même homme réagit, dégaine son révolver et lui tire dessus.
Le bruit de la détonation résonne à travers les arbres et fait s'envoler les oiseaux nichés dans leur nid.
J'entends un crissement de feuille derrière moi et de tous petits pas s'éloignant. Pikachu est en vie.
- Que aucun de vous trois ne bouge. Je n'hésiterai pas à tirer une seconde fois. Une jolie balle, juste dans votre cervelle ! Alors on se calme et on nous suit bien gentiment.
Les quatre hommes nous menacent avec leurs pistolets, nous empêchant de fuir.
Il a bien dit tous les trois ? Sacha, moi et ... Chi?

* *
*
* *

Trois sonneries puis la messagerie. C'est bien trop court. Ce n'est pas normal.
La cohue qui régnait dans le centre tout à l'heure a cessé. Maintenant tout est calme, le silence règne. Chaque patient a obtenu les soins qui lui étaient nécessaires et les nombreux médecins et infirmières s'octroient enfin une pause bien méritée.
Ni Nezu ni moi ne parlons.
Soudain, le silence est brisé. Un bruit. Assez loin. On dirait une détonation.
Je me lève, paniquée.
- Kai... Sacha ... !
Derrière moi, j'entends le bruit d'un plateau métallique qui tomberait par terre. Je me retourne. La mère de Kai me dévisage, les yeux grands ouverts.
- Il leur est arrivé quelque chose?

Sa voix est suppliante. Elle a besoin de savoir.
- Je ... Je ne sais pas. Peut-être que je m'inquiète pour rien.
- Nous devons en avoir le cœur net !
C'est étrange. Son intonation de voix, ce regard... Elle me fait tellement penser à Kai. Je m'inquiète tellement. J'ai envie de partir moi-même dans la forêt, les retrouver, les sauver. J'ai peur pour eux. Peur pour Sacha, peur pour Kai...
Je soupire.
- Vous avez raison. Nous devons faire quelque chose.
Je crois que les garçons ne nous pardonneront jamais de prendre trop de risques...
L'infirmière et moi nous regardons dans les yeux, prêtes à tout pour être sûres de leur sécurité.

* *
*
* *

Après ça nous avions un peu discuté. Il avait fureté un peu dans mes rapports de recherches et bientôt s'excusa et prit congé en m'encourageant à persévérer.
Il ne s'était rien passé pendant plusieurs jours, j'étais resté seul chez moi, sans nouvelles du monde extérieur, plongé dans mes recherches.
Mais hier ce fut différent.
On sonna à ma porte. Je n'attendais personne et Sacha ne devait pas revenir.
J'ouvris la porte. Trois hommes pénétrèrent dans ma demeure. Je n'eus pas le temps de réagir.

Maintenant il est trop tard. Je ne peux plus rien faire, juste espérer que tout s'arrange pour moi. Et pour eux.

* *
*
* *

Chi, elle aussi, est menacée par un revolver. Je n'y comprends plus rien. Et à en juger par sa tête, elle non plus ne comprend pas.
Le quatrième homme, celui qui n'a pas sorti de pistolet, attrape dans sa poche une pokéball qu'il nous lance.
- Parasect, poudre dodo !
Le Pokémon apparaît dans un rayon lumineux. Son champignon rouge s'agitant est la dernière image que j'ai le temps de voir, avant de sombrer dans un profond sommeil.


Dans mon sommeil, j'ai l'impression d'entendre la voix de Kathy, qui me demande pourquoi je n'ai pas répondu au téléphone. Qui me demande pourquoi j'ai pris tant de risques, pourquoi je n'ai pas simplement récupéré Sacha et que nous ne l'avons pas rejointe là-bas, pour vivre tranquillement. Pourquoi je rajoute encore des problèmes à notre vie si compliquée.
Ce qui fait que je me réveille avec une migraine atroce.

J'ouvre difficilement les yeux, le soleil m'aveugle. Je me trouve dans une petite clairière, attaché à un arbre. A ma gauche Sacha. A ma droite... Chi. Tous deux dorment encore.
Je n'arrive pas à bouger.
- Te fatigue pas gamin, un peu de Para-spore et tu ne peux plus gigoter ! Ahahah !
L'un des hommes, voyant que je suis réveillé, s'est approché de moi. Son rire moqueur me donne envie de lui cracher au visage. Mais je me contiens. Je sais de quoi ils sont capables.
Il s'éloigne, nous laissant seuls.
A mes côtés, Chi et Sacha se réveillent.
- Quand mon père arrivera, il les brûlera tous ! Tous ! Tous ! Autant qu'ils sont !
La jeune fille fulmine de rage.
- Pikachu trouvera du secours, j'en suis persuadé.
J'ai l'impression que Sacha essaye de s'en convaincre. Il panique. Mais il n'est pas le seul.
Je baisse la tête. Le silence s'installe, personne n'ose parler, nous réfléchissons tous les trois.

- Non mais quelle idée j'ai eu de voler ces menottes et ces chaines au commissariat ! Avec des liens en corde, il aurait été bien plus facile de s'enfuir !
Chi soupire. Dans cette situation, la fille aux cheveux roses me paraît soudain beaucoup moins antipathique.
- Parasect à la noix ! Je ne peux toujours pas bouger en plus !
Elle continue de parler. Comme si c'était un besoin.
- Pourquoi... Pourquoi tu es revenu? Tu as vu où j'en suis à cause de toi ! Qu'est-ce que tu fichais dans cette ville? Tu aurais dû être déjà loin ! Pourquoi tu es venu dans cette forêt, tu savais très bien qu'il te tuerait !
Elle s'énerve. Mais je sens dans sa voix comme l'écho d'un sanglot.
- Tu crois vraiment que tout cela est de ma faute? Ce n'est pas moi qui vole, qui frappe et qui tue ! Sans toi, je ne serais pas dans cette affaire non plus !
- Oui, sans moi tu serais MORT !
J'encaisse ses paroles.
- Calmez-vous ! Maintenant c'est trop tard ! Il faut trouver une solution pour s'en sortir ! Ce n'est pas le moment de régler vos comptes !
- Chut ! Ils reviennent vers nous !
Deux des hommes s'approchent en effet de nous. Chi les appelle.
- Vous allez voir quand mon père arrivera !
- Ton père arrive. On l'a eu au téléphone. Justice sera enfin faite petite peste ! Crois-moi !
Les deux hommes partent dans un rire sordide. Chi commence à prendre peur. Ils vont s'asseoir au milieu de la clairière afin de nous surveiller.

Je tends l'oreille afin d'entendre leur conversation. J'ai à nouveau la sensation de mes membres, j'arrive enfin bouger un peu mes jambes.
Chi essaye de parler, je la coupe. Ce qu'ils disent me semblent important. Sacha lui aussi tend l'oreille.
- Tu te rappelles l'attaque chez le professeur fou là.
- Ouais, ouais.
- Bah sur son bureau, il y avait un dossier appelé : « dossier K  ». Ça parlait de la possibilité qu'un humain se transforme en Pokémon. En Sabelette même ! Nan mais il est complètement fou ce Professeur !
- Tu crois qu'il a réussi à faire ça ?
Je commence à frémir.
- Je sais pas. Mais le problème, c'est qu'apparemment ça aurait rappelé des souvenirs au chef. Donc on a tout embarqué, matériel, dossier... Et le gars avec aussi. Sauf qu'il refuse de parler. Alors on doit utiliser la manière forte. Mais on doit pas l'abîmer qu'il a dit le chef... Pfff
Dossier K... Dossier Kathy.
Chi tourne la tête vers moi.
- Attends... t'en as pas un de Sabelette toi? J'l'ai pas vu tout à l'heure, il y avait une fille avec toi à la place...
Je tourne la tête vers Sacha. J'ai peur. S'il découvre la vérité, Kathy risque d'avoir de gros ennuis. Le Professeur Tan risque lui aussi d'avoir des problèmes. Je dois aller le sauver. Je dois aller sauver Kathy. Mais pour l'instant, je suis attaché à un arbre.
Sacha me regarde, lui aussi se rend compte de l'ampleur de la situation.
Nous paniquons. Mais il faut agir. Et vite.

J'ai peur. Vraiment peur. Si on venait à découvrir le secret de Kathy, ce serait la fin pour elle. Et pour l'instant, je suis prisonnier et il m'est impossible de venir l'aider.
Le temps s'écoule si lentement qu'une minute me semble durer une heure. Je sens Sacha qui s'agite à mes côtés.
- Ca ne sert à rien. Je n'arrive pas à bouger d'un poil. Et ils m'ont pris mes Pokéball.
- Bien évidemment ! Nous ne sommes pas des amateurs ! On ne laisse pas les Pokémon de nos prisonniers. Mais...
- Laisse-moi deviner, tu n'as plus les tiennes non plus...
Chi sanglote.
- Ils m'ont attachée comme une moins que rien...
- Merci de la comparaison...
Elle continue de pleurer silencieusement. Sacha soupire et le temps continue son chemin sans se soucier de mon désespoir.

* *
*
* *

Je suis à nouveau seul. Kathy et la mère de Kai sont parties. Je n'ai plus mal. Je me sens bizarre. Je me sens observé. Je fais des rêves étranges où je suis un Seviper. Sous mes yeux je vois à nouveau Kajuu après avoir traversé des bois. Je m'aventure plus loin dans la forêt, là où l'air a vibré au son d'une détonation, attiré par cet endroit comme un Magneti à un aimant.
Je me réveille en sursaut. Mais je me sens épuisé, comme si j'avais marché des heures. Alors je m'endors à nouveau.

* *
*
* *

Soudain, j'entends un bruissement derrière nous, derrière l'arbre auquel nous sommes attachés.
- Pikachu...
- Il va bien ? La balle ne l'a pas touché ?
- Je... Je crois... Pikachu ... Mon ami...
- Dis-lui de rester caché ! S'il le voit ...
Chi a étrangement peur pour le Pokémon souris. Mais je crois qu'elle a surtout peur pour elle.
- Sacha... D'habitude, les Pokéball sont cachées dans la tente du chef. Mais là le campement est presque vide. Il ne reste que deux tentes, pour protéger les vivres et le matériel restant des Pokémon sauvages. Si mon père arrive effectivement bientôt, ils ne vont pas tarder à tout remballer. Il ne reste donc plus beaucoup de temps pour récupérer nos Pokéball...
Chi chuchote. Sa voix tremble encore un peu, mais elle semble avoir repris un peu espoir.
- Compris. Pikachu... Tu as entendu ? Tu te sens capable d'aller fouiller les tentes ?
- Nous n'avons qu'à faire diversion pendant ce temps... Histoire qu'il ne se fasse pas tirer dessus...
- Ca c'est mon affaire !
La voix de Chi est cette fois-ci pleine de colère.

C'est en effet elle qui risque le mieux de détourner l'attention de nos geôliers.
- VOUS N'ETES QU'UNE BANDE D'INCAPABLES ! TOUT CECI EST DE VOTRE FAUTE !
Deux des hommes s'approchent de nous et j'entends Pikachu détaler dans la forêt.
- Tu feras moins la maline quand ton père arrivera !
Elle leur crache au visage et gigote comme une furie.
- C'est ce que vous essayez de me faire croire ! Vauriens !
- Tu crois très certainement qu'on prendrait le risque de contrarier le chef ?
J'aperçois Pikachu qui pénètre dans la première tente.
- Vous essayez juste de me faire peur !
L'homme qui avait utilisé le pistolet lui donne un coup de poing dans la joue. Pendant quelques secondes, la jeune fille ne réagit pas, apparemment sonnée.
- Ca, vous me le paierez très, très cher !
- Cause toujours !
Et l'autre homme lui met lui aussi une droite dans l'autre joue.
Pikachu ressort de la première tente, bredouille. L'un des hommes est resté près du feu de camp. J'aperçois la silhouette du dernier homme encore présent au campement dans la deuxième tente, apparemment en train de piquer un somme. Je prie intérieurement pour que Pikachu l'ait lui aussi vu.
- Laissez-la tranquille maintenant ! Arrêtez de la frapper !
- Tu n'en as pas assez eu la dernière fois toi ? Sale petit morveux !
Le premier a avoir frappé m'attrape par le col et m'étrangle.
- Vous êtes censé les garder en vie, alors à ta place j'éviterai de l'empêcher de respirer aussi longtemps.
Chi a repris son souffle et apostrophe l'homme qui me relâche enfin. Je respire à nouveau et vois Pikachu ressortir de la tente, trainant difficilement un sac. Il a mis beaucoup de temps à sortir de cette tente. C'est étrange.
Sacha l'a lui aussi suivi du regard pendant tout l'échange. Mais le petit Pokémon a encore besoin de temps. Je le sens prêt à intervenir à son tour.
- Puis-je savoir pourquoi vous devez nous garder en vie, puisque la dernière fois vous sembliez prêt à tuer mon ami ici présent?
- Ca ne te regarde pas ! Mais j'vais te le dire, de toute façon tu finiras quand même pas mourir avant que ça ne te soit utile. Si ça tourne mal, vous nous servirez en quelque sorte de ...
- De bouclier humain. Et moi ? A quoi je vais servir?
Chi est encore plus en colère que tout à l'heure.
- Ton père en décidera tout à l'heure. Ne sois donc pas si pressée !
Le Pokémon souris a enfin atteint les buissons et n'est plus visible.

* *
*
* *

J'ai l'impression de me déplacer très vite. A travers les chemins et les arbres. Je rampe à une vitesse que je n'aurais jamais pu imaginer pour un serpent, guidé par un instinct totalement nouveau pour moi.
Une fois encore, j'ai l'impression de tout savoir, de connaître les réponses. Et pourtant tout est différent.
J'aperçois un Pokémon jaune que je crois connaître; Je m'approche de lui. Nous communiquons grâce à un langage complexe et détaillé. A la suite de cela, je pénètre dans une tente, où dort un homme. Mon confrère Pokémon fait trop de bruit en fouillant l'habitation de fortune mais l'homme a à peine le temps d'ouvrir les yeux que je plante mes crocs fatals dans sa gorge. Son corps s'avachit, son cœur cesse de battre. Une longue seconde s'écoule...

... et je me réveille en sursaut dans mon lit d'hôpital, des sueurs froides coulant dans mon dos et l'étrange sensation d'avoir tué un homme.

* *
*
* *

Je retiens un soupire de soulagement. Mais j'aperçois soudain un Seviper, suivant Pikachu. Il me semble étrangement familier. Je détourne mon regard de cette direction pour ne pas attirer l'attention des hommes.
Chi serre les dents, angoissée, épuisée, blessée autant physiquement que dans son estime et ne pipe plus mot. Sacha et moi sommes trop stressés par la présence du second Pokémon pour ouvrir la bouche. Si bien que l'homme au revolver crache à mes pieds, avant que lui et l'homme qui l'accompagnait retournent au centre du campement.
Je souffle un peu...
- Toi aussi tu as vu ce Seviper, Kai...
- Oui... Attendons de voir. Pikachu va revenir, avec les Pokéball. Et tout ira bien.
- Je l'espère...
Le temps semble une fois encore s'écouler au ralenti. Nous guettons le moindre bruit, à l'affût du moindre signe indiquant la présence de Pikachu. L'attente devient insoutenable...

* *
*
* *

Je suis épuisé, vidé. Est-ce le venin, la peur après tous ces événements, ou est-ce ce rêve étrange qui me vide de mon énergie? Pour une fois, je suis incapable de répondre à ces questions.
Je reprends mon souffles et m'allonge à nouveau...

Je suis Pikachu à travers les buissons. Il peine à porter un sac, apparemment lourd et je décide de lui venir en aide. Mais notre instinct à tous les deux semble soudain s'agiter et nous nous tapissons dans les fourrés Au loin résonne le bruit d'un hélicoptère. De plus en plus proche. Les vibrations de l'air commencent à se propager dans le sol. Pikachu essaye de se boucher les oreilles. J'ai quant à moi l'impression de devenir dingue, fou. Nous perdons nos repères au fur et à mesure que l'engin se rapproche de nous. Il nous est à présent impossible de bouger.
Ce mal-être me semble bien réel. Tout cela n'est pas un rêve. Mais qu'est-ce que c'est alors? Comment puis-je voyager à travers le corps de ce Séviper?

* *
*
* *

Toujours aucune trace de Pikachu. Nous sommes toujours prisonniers. Et de plus en plus désespérés.
Un hélicoptère s'est posé, juste à côté du campement. Nous avons de plus en plus peur.
- Je crois que je n'ai plus tellement envie de voir mon père...
Chi, elle aussi, tremble.
J'ai envie de pleurer. Je ne pourrai jamais aider Nezu à rejoindre Kitakaze. Je ne pourrais jamais aider Kathy avec ses transformations. Des tas d'autres sentiments et regrets m'accablent. Je ne pourrai jamais aider le professeur Tan à s'en sortir, lui qui depuis mon enfance a toujours été très gentil avec moi. Je ne pourrai jamais réellement redevenir ami avec Sacha, comme quand j'étais gamin. Je ne pourrai jamais honorer la mémoire de mon père.
J'ai mal. Je suis confus. J'ai peur.
Je ne pourrai jamais ... je ne pourrai jamais faire tant de choses.
Mais surtout.. Je ne pourrai jamais dire à Kathy que j'ai envie de lui offrir des tonnes de choses, tout ce qu'elle n'a pas eu, que je m'en fiche qu'elle soit différente avec ses transformations, qu'elle est mon amie et qu'elle le restera quoi qu'il arrive.
Je ne pourrai jamais pardonner à ma mère et à nouveau la serrer dans mes bras en lui disant qu'elle m'a manqué, voir son sourire, l'entendre rire et me raconter des histoires de Pokémon.
Non. Je ne pourrai jamais faire tout ça. Car l'homme qui vient de descendre de l'hélicoptère va me tuer. Il va tuer Sacha. Et ce sera la fin.


* *
*
* *

Je ne sais pas si je dois croire au destin. Je sais juste que parfois la vie est cruelle. Mais que parfois elle l'est un peu moins.
Et qu'il est toujours possible de prendre son « destin » en main. Et qu'il ne faut jamais perdre espoir. Même si il semble que ce soit la fin. Car rien n'est jamais terminé. Loin de là.


* *
*
* *

- PAPA ! POURQUOI ?
Chi hurle au désespoir. Le chef de la bande, qui me semble encore plus impressionnant que la dernière fois, s'approche de nous, escorté par deux hommes.
- J'aimerais parler seul avec ma fille.
Les deux hommes haussent les épaules et vont rejoindre leurs collègues qui nous surveillaient, plus loin.
- Pourquoi, Père... Pourquoi... J'ai toujours obéi à vos ordres, j'ai été sage et docile. J'aspirais à devenir votre bras droit... Je voulais que vous soyez fier de moi...
La manière dont elle s'adresse à lui est déroutante. Bien trop... Hiérarchique.
- Mes hommes n'ont plus confiance en toi. Et vont perdre confiance en moi. Ce n'est pas seulement la faute du retour de ce garçon. Mais cette histoire a aggravé la situation. Il est trop tard maintenant.
- Je... Je ne veux pas mourir.
La jeune fille pleure. Brisée.
- Tu ne mourras pas. Je t'emmènerai. Quelque part. Où tu prendras un nouveau départ. Mais si tu cherches à me retrouver, tu mourras. De mes propres mains s'il le faut.
Il tourne les talons.
- Attendez ... Père ! Détachez-moi et redonnez-moi au moins mes Pokémon, je saurai être sage en attendant...
Il soupire et plante son regard dans celui de sa fille.
- Tu es bien trop dangereuse... Comme ta mère... Je ne peux pas te confier nos Pokémon.
Il repart, calmement.
- Attendez ! Maman, où est-elle? Et ... Mais... Ce sont mes Pokémon ! Ne partez pas ! NON ! PERE ! PITIE !
Sa voix me transperce le cœur. Mais je suis bien trop effrayé pour pouvoir dire quelque chose.


* *
*
* *

L'hélicoptère a atteri. Je peux à nouveau bouger. J'aide Pikachu a transporter son sac.
Nous nous arrêtons soudain. Au loin, je perçois des vibrations. Des voitures. Plusieurs. Grosses. Lourdes. Blindées. Pikachu tend lui aussi les oreilles.
Mais nous n'avons pas une minute à perdre.


* *
*
* *

Il y a certains moments où vous savez que tout se déroule très vite. Et pourtant, c'est comme si tout se jouait au ralenti devant vous, comme si le temps se moquait de vous.
C'est l'impression que j'ai, actuellement. Car chaque scène se déroulant autour de moi forme une immense pièce, dans laquelle j'aurais le rôle d'un spectateur impuissant, qui verrait chaque événement se dérouler lentement devant ses yeux.


* *
*
* *

Tout s'est déroulé terriblement vite. Emilie (c'est ainsi que se nomme la mère de Kai) et moi nous trouvions dans la voiture la plus en avant.
Nous nous sommes arrêtés à distance respectable du camp que les éclaireurs Pokémon avaient repéré et avons commencé à crapahuter dans la forêt.
J'ai couru. Très vite. Je suis arrivée. Et j'ai tout vu.

Pikachu accompagné d'un Seviper est arrivé au niveau de Sacha et Kai. L'hélicoptère s'est mis en marche. Le gang nous a repérés. La police est intervenue. Les méchants ont tiré. Le chef a été chercher ses otages. Le Seviper est intervenu, s'interposant entre eux et l'homme. Un Galekid sortant d'une Pokéball près de Pikachu a libéré Chi, puis Kai et Sacha. Le chef et les autres membres du gang ont battu en retraite dans l'hélicoptère. J'ai juste eu le temps d'apercevoir un visage connu à l'intérieur de l'engin, d'entendre Kai crier le nom du professeur et ainsi d'empêcher les policiers de tirer sur le véhicule volant.

Tout était déjà fini. Ils se sont enfuis. Mais tout le monde est sain et sauf. Ou presque.



* *
*
* *

Ma mère me saute dans les bras. Avant même de regarder Sacha. Je me sens... Heureux?
- Kai... Mon chéri... Mon fils... Tu vas bien ? Oh ... Tu es tout sale, tout blessé... J'ai... J'ai eu si peur pour toi...
Elle veut me lâcher. Mais j'accroche mes bras autour de son cou.
- Maman... Je ... Je voulais te dire quelque chose...
- Oui...
- Je t'aime. Et... Et je suis heureux pour ton mariage...
Elle pleure sur mon épaule. Je me sépare d'elle et laisse Sacha la serrer à son tour dans ses bras. Quant à moi... Je me jette dans ceux de Kathy...
- J'ai eu si peur... de te perdre.
- Kai...
- Tu n'aurais jamais dû venir ici. Ca aurait pu être dangereux.
- Ne sois pas stupide...
Je lui souris.
- Kai?
- Oui
- Moi aussi j'ai eu peur de te perdre...

Malgré tout ce qui s'est passé, je me sens bien. Heureux. Il me reste des tonnes de chose à faire. Je profite donc de ces quelques secondes de bonheur, où la vie semble si parfaite.
Ensuite, viendra le temps des interrogatoires de la police.
Puis je partirai retrouver le professeur Tan.
Je crois que je n'aurai pas ma petite vie tranquille avant encore quelques temps...

C'est une belle journée. La mariée est la plus belle dans sa sublime robe. Le marié sourit dans son costume parfait. Le jeune garçon qui apporte les alliances s'efforce même d'avoir l'air heureux dans son costume blanc comme ses cheveux et la jeune fille au premier rang le regarde en croisant les doigts pour que tout se passe bien. A côté d'elle, un petit garçon aux cheveux noirs de jais semble bien plus absorber par la forêt à proximité que par cette magnifique cérémonie et une jeune femme aux cheveux roses bougonne au dernier rang, les bras croisés.

La cérémonie a été organisée très vite et nous voici déjà au jour J. Pourtant cette journée semble particulière à sa manière dans la tête de tout un chacun...

**
*
**

Je suis d'accord pour faire un effort. Pour sourire. Avoir l'air heureux. Mais me faire apporter les alliances... C'est trop. Maintenant que la mort s'est éloigné de moi, je me rends compte que la rancune est plus forte que le reste. Mais je me contiens, je fais un effort.

Après le départ de l'hélicoptère, nous sommes montés dans une voiture de police et nous sommes partis à Kajuu. Plusieurs personnes nous ont posé des tas de questions, à Sacha, Chi, Kathy et moi. Mes deux « amis » (puisque je ne le considèrerais jamais comme mon nouveau « papa », je vais essayer de lui accorder au moins ce titre) ne savaient quoi répondre, ayant peur de dire quelque chose qui me créerait des ennuis. Quant à Chi... Elle pleurait beaucoup trop pour pouvoir répondre à une quelconque question. Alors j'ai pris les devants.
J'ai raconté presque toute la vérité. A un détail près. Je n'ai pas dit qui était Chi. Je ne sais pas pourquoi. J'ai préféré mentir. Et dire qu'elle était attachée avec Sacha et moi, mais que je ne la connaissais pas, que je ne savais pas qui elle était. L'agent qui posait les questions à ce moment là prenait des notes sur ce que je disais. Alors j'ai eu le temps de voir Kathy secouer la tête presque imperceptiblement et regarder ses pieds, Sacha fixer un point au loin en fronçant quelque peu les sourcils et Chi arrêter de sangloter quelques secondes pour me fixer, ne comprenant pas pourquoi je faisais tout ça.

Après ça, les interrogatoires ont cessé. Chi et Sacha ont récupéré leurs Pokémon et notre vie aurait dû continuer comme avant. Mais la jeune fille aux cheveux roses a décidé de rester.
« Tu as l'air de vouloir partir à la recherche de mon père pour récupérer ton ami le savant fou. Moi je veux savoir pourquoi il m'a abandonné. Et retrouver ma mère. Il m'a toujours fait croire qu'elle était morte. Alors je reste avec vous. Parce que t'as une tête à t'attirer des ennuis alors tu leur tomberas forcément dessus un jour. Je n'ai pas d'argent, pas d'identité. Et tout ça c'est ta faute. Alors t'as intérêt à me nourrir et tout le tralala. Parce que à cause de toi je n'ai plus rien. Et je te le ferais payer un jour. Alors je reste. On dit toujours qu'il faut garder ses ennemis encore plus près de soi que ses amis. Alors je vais bien me coller à toi face de piaf! »
Il était hors de question de protester. Il était trop tard. Si j'avais voulu me débarrasser d'elle, j'aurais dû la dénoncer à la police tout de suite. Mais je ne l'ai pas fait. Et puis, elle comptait se servir de moi pour retrouver son père. Dans un sens, sa connaissance sur cette « bande » allait m'être très utile à moi aussi... Alors autant en profiter...

Bref. Tout ça pour nous conduire à ce jour. L'incident n'a eu lieu qu'il n'y a que quelques semaines. Ce qui signifie que le mariage est prévu et organisé depuis un certain temps déjà. Et pour ça aussi je leur en veux.
« Arrête de faire la tête et d'en vouloir à la terre entière ! Et amuse toi ! Depuis le temps que tu n'as pas passé du temps avec ta mère... » Kathy ne cessait de me répéter ce genre de phrases stupides depuis des jours et des jours. Mais rien n'y fait. Même si je préfère voir ma mère avec Sacha qu'avec le premier imbécile venu, je maudis ce jour. J'aurais tellement voulu que Sacha ne débarque jamais dans ma vie. Que mon père soit encore là. Mais la vie en a décidé autrement. Je ne peux plus rien changer. Mais c'est encore trop difficile à accepter.

Mais je souris. Je marche dans cette allée au bout de laquelle ma mère me sourit. Ces dix dernières années, je ne l'ai presque pas vue. Je suis resté seul souvent. Mais dans ma tête, j'ai gardé le souvenir d'elle triste. Dans un certain sens, la voir heureuse me console un peu.
Elle porte une robe couleur ivoire. Et une couronne de fleurs dans les cheveux. Elle a les yeux plein de larmes à cause de l'émotion. Mais des belles larmes. Pas comme les larmes de la mort.
Lui il est vêtu d'un costume noir et une cravate assortie à la robe de ma mère. Il a l'air heureux mais très sérieux. Le sérieux des jours importants.
Avant la cérémonie, je me suis disputé avec Kathy. Je veux partir à la recherche du professeur dès le mariage achevé. Mais elle dit qu'on ne sait pas où chercher et qu'il faut emmener Nezu à Kitakaze. Depuis son séjour à l'hôpital, c'est vrai qu'il est devenu encore plus étrange. Et depuis que Chi nous suit, Kathy a l'air fâché. Tout ça est bien compliqué.
Moi, j'ai changé. J'ai décidé d'essayer de me détacher des problèmes et de vivre comme la vie arrive à moi. De toute façon, on ne peut rien contrôler, on ne peut rien prévoir. Je n'arrive pas à lever l'ancre de mon passé, mais au moins je me détache du futur, histoire de ne pas rester bloqué dans un présent craignos.

Oui, dès que les vœux auront été échangés, je souhaiterais pour ma part changer pour pouvoir profiter de la vie pleinement. Avant qu'on me la retire.
Oui. Dès que la fête sera finie, on partira. Loin de tout ça. Loin de ma mère. Loin de Sacha. Parce que je veux vivre ma propre vie.
Oui. Aujourd'hui sera le jour de mon nouveau départ.

**
*
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Mais qu'est-ce que qu'elle fiche là celle là ? Non mais sérieusement ! Si elle essaye de faire du mal à Kai, elle aura à faire à moi ! Pourquoi il ne l'a pas dénoncée ? Je me sens bizarre ...

C'est la première fois que j'assiste à une cérémonie comme celle là. Il n'y a pas beaucoup de monde dans l'assemblée. Juste quelques amis des mariés. Mais tout est si joli, un peu luxueux. Il y a des fleurs partout, accrochées aux chaises, posées par-ci, par-là. Il fait beau, le soleil brille. Heureusement, puisque tout a lieu en plein air. Les gens ont l'air paisible. Mais moi je suis troublée.

Depuis l'incident, Nezu tient des propos étranges. J'ai le pressentiment qu'il faut l'emmener à Kitakaze. Pour qu'il y trouve des réponses. Il semble se refermer sur lui-même. Et ça me fait peur. Il part sans cesse seul se promener comme s'il cherchait quelque chose. Et si j'essaye de le suivre, il s'énerve et ne parle plus pour le reste de la journée. Kai n'a pas l'air de s'en rendre compte. Lui aussi s'est refermé sur lui-même depuis les interrogatoires de police. Il semblait si heureux de retrouver sa mère. Mais ça n'a duré qu'un seul instant. Je pensais qu'il allait enfin se confier à moi. Que j'allais pouvoir comprendre. Mais au lieu de ça, il a constamment l'air tendu.
On s'est même encore disputé avant la cérémonie. Il veut partir, comme un voleur, retrouver le professeur Tan. Mais je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Je suis sûre que c'est cette fille qui lui monte la tête. Je la déteste.

Mes transformations se sont faites rares ces derniers temps. Je ne sais pas pourquoi. Kai refuse que sa mère soit au courant. Alors à chaque fois que je me suis transformée, nous sommes partis dans la forêt, pour que ni Chi, ni sa mère ne découvre ce qu'il s'est passé. Ca n'a pas été facile. Mais ça n'est pas arrivé souvent. Et c'est très étrange. Je ne sais plus pourquoi je me transforme. Mais ça me manque. Tout est différent quand je suis Sabelette. Et le silence pesant de Kai est un fardeau bien trop lourd à porter. Au moins, quand je suis un Pokémon, je n'ai pas besoin de me soucier de ça. C'est un nouveau monde que je découvre avec d'autres yeux. Je n'ai plus besoin de me forcer à parler pour rompre le silence. Je n'ai plus qu'à être moi-même. Un « moi » un peu différent, avec des écailles, une queue et des griffes. Mais j'ai fini par accepter que cette apparence fait elle aussi partie de moi. Aujourd'hui, j'ai tout mon corps qui me démange. Comme si je voulais redevenir cet être. Je bous sur ma chaise. Mais je me contiens. Je ne dois pas tout compliquer. Un jour peut-être, je pourrais choisir. Pour l'instant, j'ai l'impression de pouvoir au moins retarder un peu mes transformations pour ne pas qu'elles s'effectuent devant tout le monde. Et je crois que c'est ce que je ressens actuellement. Mais ce « pouvoir » est bien trop aléatoire pour que j'en sois sûre.

Il s'avance dans l'allée. Il sourit. J'ai peur qu'il craque. Et qu'il gâche cette belle cérémonie. Non, ça je ne le veux pas. Depuis l'incident, nous sommes restés avec Sacha et Emilie. J'ai l'impression d'avoir une famille. Je voudrais rester encore un peu... Juste quelques jours... Mais je sais que nous devons partir. Alors je ne dis rien.

Je réfléchis depuis ces dernières semaines. Tout s'est déroulé tellement vite, sans que je ne puisse rien faire. Alors j'ai décidé de prendre mon destin en main. Je ne veux pas agir sans réfléchir. Je ne veux pas laisser les aléas de la vie me dicter mes choix. Je veux pouvoir choisir.
Et aujourd'hui c'est décidé. Je vais changer ma vie et mon destin. On partira, on aidera Nezu. On retrouvera le professeur. Je saurais trouver la bonne voie pour arriver à tout cela. Oui aujourd'hui est un jour spécial. Aujourd'hui je vais devenir la nouvelle « moi ». Aujourd'hui est le premier jour d'une nouvelle aventure.
Aujourd'hui est le jour de mon nouveau départ.

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Il est quelque part. Mais où? Je continue de rêver que je suis lui. Ils m'ont raconté ce qu'il s'était passé. Mais comment leur expliquer qu'en réalité j'étais présent ? Heureusement, ils ont l'habitude que je sache déjà. Alors le fait que je ne sois pas étonné n'a pas était une surprise pour eux.
Il est là. Dans cette forêt. Il me cherche comme je le cherche. C'est à devenir fou.

Kathy est assise à côté de moi. Elle s'inquiète. Elle vient me voir je ne sais combien de fois par jour pour savoir comment je vais. Elle me pose des questions. Elle me suit. Elle me sourit d'un air peiné comme si elle percevait mon trouble intérieur. Mais ça m'agace. Je trouve toujours les réponses tout seul. Alors elle ne doit pas rester près de moi à ce moment là. Je ne veux mêler personne à tout ça. Même ici, alors qu'elle est absorbée par la cérémonie, qu'elle surveille Kai du coin de l'œil, qu'elle admire le paysage le regard brillant, elle ne peut quand même pas s'empêcher de tenir ma main très fort dans la sienne, de tourner furtivement la tête vers moi à intervalles réguliers.
Kai, lui, semble absorbé par quelque chose d'autre. Depuis des jours et des jours, il semble absent. Moi, je suis heureux. J'ai pu passer plein de temps avec Sacha, même s'il était très occupé. Ça ne faisait rien. Je cherchais moi-même quelque chose.

Le jour de l'incident, j'ai attendu seul à l'hôpital. Ils m'ont tous laissé. Kathy est partie, brusquement. Et moi j'avais le corps en feu. Et ils m'ont laissé seul. Comme si la présence de Kathy avait changé quoique ce soit à la situation là-bas. Alors que j'avais besoin de quelqu'un. J'avais besoin que quelqu'un soit là pour me faire comprendre pourquoi j'avais le goût du sang d'un homme dans la bouche, pourquoi mes rêves semblaient bien plus que réels. J'ai eu très peur. Et à cause de la peur, je suis plein de rancune. Je leur en veux de m'avoir laissé seul. Mais de toute façon... J'ai toujours été seul. Les autres enfants me trouvaient étrange. Depuis que j'ai rencontré Kai et Kathy, je commençais à me dire que finalement, moi aussi je pouvais avoir des rapports normaux avec les autres enfants. Me faire des amis. Mais depuis que je me suis fait mordre par ce Seviper, je suis redescendu sur terre : je ne serais jamais comme les autres...

Kai s'avance dans l'allée. Moi je regarde les arbres. Je sens sa présence : il est là. Je sais que je dois le retrouver. Lui aussi le sait. Nous n'avons pas le choix. Sa présence m'attire. Je ferme les yeux un instant. Et je me vois, assis sur cette chaise. Je vois Kathy qui me donne la main. Je suis à l'abri des regards, caché dans la forêt. Et je rouvre les yeux. Et je suis à nouveau sur cette chaise.

J'ai peur. C'est comme si je devenais fou. Comme si le monde tournait de travers. La présence de cette fille fait tourner leur monde à l'envers. La présence de Séviper rend le mien incompréhensible.
C'est la journée des faux semblants. Où tout le monde doit faire semblant d'être heureux. Alors que tout le monde est si stressé.
Je le vois. Il me voit. De ma poche glisse la Pokéball que j'ai précieusement gardé depuis que Sacha me l'a donné. Elle roule. Roule. Jusqu'à un arbre. Elle disparaît dans les herbes folles.
J'ai l'impression que ma tête va exploser.
C'est la journée des faux semblants. Où tout le monde fait semblant d'être heureux. Alors que tout le monde est si stressé. C'est la journée du nouveau monde.
Dans ma tête, quelque chose s'est brisé quand j'ai perdu connaissance après m'être fait mordre. Et maintenant, un morceau s'est recollé.
Et je compte bien retrouver tous les autres. Dans quelques heures, nous partirons à Kitakaze. Et je pourrais redevenir moi. Celui qui connait toutes les réponses.
Aujourd'hui est un jour spécial. C'est le jour où mon puzzle se rassemble doucement. C'est le jour où je vais recréer mon passé. C'est le départ de ma nouvelle quête.

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Qui suis-je ? Je suis pleine de rage. Pleine de rage ! Moi qui ai toujours obéit aux ordres, moi qui ai toujours fait ce que père me disait ! Et il me laisse ici ? Avec ces moins que rien ? Ce n'est pas juste ! Pas juste !
J'ai la rage !

Je suis assise, seule, au fond de l'assemblée. Je n'y ai pas ma place. Mais pourtant je suis là. Et j'y resterai. Je les suivrai. Car tout ça c'est sa faute. Je détruirai sa vie comme il a détruit la mienne. Parce que je ne suis plus rien. Il aurait mieux fait de m'envoyer en prison. Parce que je lui ferai payer.
Au moins, j'ai pu récupérer mes Pokémon. Comment père a-t-il pu vouloir me les retirer ? Ce sont les Miens. J'ai grandi avec eux. Je les ai élevés. J'ai tout fait pour que ce soit des Pokémon forts et qu'ils me respectent et m'obéissent.
C'est ma mère qui m'a donné mon Galekid. Mais père m'en a privé. Chaque fois que je faisais quelque chose de travers, il me retirait mes Pokémon. Alors je n'ai jamais pu les rendre assez fort pour qu'il soit fier de moi. Je n'ai jamais pu entrainer mon Galekid et mon Farfuret pour que mon père se dise que j'avais les épaules pour devenir son bras droit.
Mais maintenant, je suis libre de faire ce que je veux. Oh oui. J'ai la rage. Mais je suis libre. Si je m'enchaîne à ce garçon stupide, c'est de ma propre volonté. Car oui, je suis libre. Je vais pouvoir leur montrer, à tous, ce que je vaux.

Le jour des interrogatoires, je n'ai pas compris. Pourquoi a-t-il menti pour moi? Par culpabilité? C'est vrai, tout est sa faute après tout ! Je n'ai rien pu dire. Dans ma tête, c'était le néant. Il m'a fallut plusieurs jours pour pouvoir me ressaisir. C'est comme si on m'avait arracher ma vie et qu'on m'avait laissée toute seule par terre, vide, sans âme, sans but, sans rien.
Et puis j'ai repensé à ce que père a dit. Il a parlé de ma mère. Il m'avait fait croire qu'elle était morte. Mais peut-être est-elle encore en vie?

Kai s'avance dans l'allée. Quel garçon stupide. Et cette pauvre fille là-bas au premier rang. Elle est tellement ridicule. Avec ses grands airs. Elle se prend pour quelqu'un qu'elle n'est pas. Oui, elle est vraiment ridicule. Je ne la connais pas vraiment, mais elle ne m'inspire que le mépris. Par contre le petit garçon a côté d'elle est tout à fait fascinant. Nezu... Il a l'air tourmenté, il tient des propos qui à premières vues semblent incompréhensibles. Mais je suis sûre qu'il me sera très utile.
La mère de Kai a essayé de parler avec moi. Chaque jour, elle interrompait son travail, ses préparatifs de mariage, et elle venait s'asseoir à côté de moi, dans la chambre qui m'avait été attribuée. Elle n'est pas comme les autres. Je ne ressens pas du mépris pour elle. Mère me disait toujours que je devais être forte et ne pas pleurer. Elle me pinçait très fort pour me faire ressentir une vraie douleur et ainsi me faire comprendre que comme cette douleur, le chagrin s'efface. Père lui... Il me regardait de haut, le regard haineux et déçu. Il me tournait le dos et partait.
Mais elle... Je n'ai fait que pleurer les premiers jours. Mais elle était là. Elle me réconfortait. C'est pour ça que par respect pour elle, j'ai décidé d'assister à cette foutue cérémonie. Et puis ça a contrarié l'autre. Bien fait pour toi Kathy !

Je dois retrouver ma mère. Et mon père. Je dois prouver à tout le monde que je peux devenir quelqu'un. Si je ne peux plus servir mon père, peut-être que mère voudra de moi. Quand j'étais petite, elle m'avait toujours fascinée. Elle était grande et belle mais surtout très intelligente. Alors oui, je suis sûre qu'elle est encore en vie. L'un des stupides hommes de père a parlé de souvenirs. Oui, ça me revient maintenant. Voilà encore une autre raison pour que je reste avec eux. Car j'ai le sentiment que tout est lié.

Aujourd'hui, je n'ai pas pleuré. Aucune larme. Pour la première fois depuis l'incident. Aujourd'hui est donc un jour spécial. Aujourd'hui, j'ai décidé de devenir quelqu'un. Comme ma mère avant qu'elle disparaisse. Je vais devenir forte. Aujourd'hui, je laisse l'ancienne Chi derrière moi. Et je prends un nouveau départ.

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Je me sens si seul... Mais je sais qu'ils vont partir à ma recherche. Je ne tiendrais plus très longtemps. Les tortures qu'ils me font subir m'usent les nerfs. Je suis désolé. Kathy... Kai... Sacha... Je suis vraiment désolé. Mais je n'ai plus le choix. Je vais devoir accepter. Je vais devoir travailler pour eux. Peut-être que je trouverais la réponse que tu cherches Kathy ? Oh... Puisses-tu me pardonner...

Après la cérémonie, un énorme repas a été organisé. En voyant les yeux de Kathy briller à la vue de toute cette nourriture, je n'ai pas eu le cœur de la priver de ce festin. Et ensuite, quand tout le monde a enfin eut fini son assiette, Nezu s'était endormi.
Du coup, j'ai dû repousser notre départ. Je vais devoir dire aurevoir. Partir comme un voleur, comme je l'ai fait la première fois il y a quelques semaines, aurait été parfait. Mais ma mère insiste pour que nous partions après le repas de midi. Vu l'avancée de nos préparatifs, je crois que nous n'aurons de toute façon pas le choix.

On frappe à la porte de ma chambre. C'est ma mère. Il fallait s'y attendre.
- Kai ... Merci d'être venu. C'est le plus beau cadeau que tu puisses me faire. J'ai presque l'impression que tu m'as pardonnée. Je suis désolée, je sais que tu penses que je suis une mauvaise mère ...
- Je ne pense pas que tu sois une mauvaise mère ... Je pense juste qu'à certains moments tu as oublié que tu en étais une.
C'était méchant. Elle tourne la tête mais malgré tout je vois des larmes ruisseler sur ses joues.
- Je n'aurais pas dû dire ça. Excuse-moi.
- Tu as raison. J'ai été absente pendant si longtemps dans ta vie ...
- Je n'ai pas envie de parler de tout ça. Je veux tout oublier. Ça ne changera plus rien maintenant. Contente toi d'être ma mère à partir de maintenant. Pas besoin d'être une bonne mère, de toute façon je vais prendre la route. Alors il est trop tard pour que tu m'apportes des gâteaux, que tu me racontes une histoire quand je suis triste et que tu viennes me border quand je suis malade. Je suis trop grand, tout ça c'est fini.
Elle ne peut retenir ses sanglots. Je n'ai pas pu m'empêcher de lui cracher tout ça à la figure. Pourtant, depuis que j'ai failli servir d'otages, je me sens vide à son égard. J'ai eu un élan d'amour envers elle, puis un creux. En même temps, après tant de temps à la fuir, il est normal que je me sente perdu de ressentir tant d'affection pour elle d'un seul coup.
- Je t'aime maman. Je t'en veux pour tout ce qui s'est passé. Mais j'ai compris que toi aussi tu souffrais. Maintenant que Sacha est là, que tu as enfin remonté la pente et oublié papa...
- Je n'oublierai jamais ton père.
- Maintenant que Sacha est là, que tu as enfin remonté la pente et oublié ta douleur, essaye d'exister un peu pour moi. Même si je pars loin. Garde une place ...
Maintenant c'est moi qui me mets à pleurer. Je savais que nous aurions dû partir hier soir. Je passe mon temps à pleurer comme une vraie fillette en ce moment. Ma mère me prend dans ses bras.
- Garde une place pour moi dans ton cœur. Je te promets que je reviendrais te voir.
- Je t'aime aussi mon chéri.
Plusieurs minutes s'écoulent pendant lesquelles nous pleurons un peu tous les deux, serrés l'un contre l'autre.
- J'ai un cadeau pour toi. S'il te plait accepte-le.
- Le dernier cadeau que tu m'as fait a failli nous tuer, Sacha et moi, alors je me méfie maintenant !
Ma plaisanterie n'a pas eu l'air de la faire rire. C'est vrai que ce foutu téléphone aurait pu nous coûter la vie...

Elle me tend un paquet. Je la regarde, intrigué, et je l'ouvre. A l'intérieur, une enveloppe. Et surtout, une Pokéball, avec un oiseau gravé dessus.
Un oiseau. Le symbole de mon père. J'ai peur de comprendre.


* *
*
* *


Kai vient de rentrer dans ma chambre. Un peu sans prévenir. Il s'assoit sur mon lit, un carton dans les mains et le regard perdu dans le vide.
- Est-ce que tout va bien ?
Il tourne la tête vers moi, enfin.
- Je... Je ne sais pas trop. Est-ce que... est-ce que tu voudrais venir avec moi ?
- Ou ça ?
- J'aimerais te montrer quelque chose ...
Il m'attrape par la main et m'entraîne en dehors de la maison. Nous passons devant Nezu, qui joue avec sa Pokeball et Chi qui lit un livre sur l'élevage des Pokemon que la mère de Kai lui a donné. Ils nous regardent tous les deux de manière étrange et se mettent à nous suivre, comme s'ils avaient peur de rater quelque chose d'essentiel. Kai les a remarqués mais ne dit rien et continue de me tirer par la main.

Nous arrivons en bordure de village et Kai tourne sur un petit sentir orné de fleurs. Il ouvre une grande grille en fonte et nous entrons.... Dans un cimetière.

Je ne pense pas être la seule personne au monde à ne pas trop aimer les cimetières. Ils me donnent la chair de poule. Pourtant, celui-ci est presque « mignon », chaque tombe est entourée d'une parcelle d'herbe et les habitants du village (en tout cas je pense qu'il s'agit d'eux), mettent un point d'honneur à entretenir les sépultures et à les décorer de jolies fleurs colorées. Malgré tout, ça reste un cimetière. Avec des tombes. Des gens morts. Et une atmosphère lourde de chagrin. Mais je fais abstention de tout ça et je suis Kai dans le dédale des sentiers, Chi et Nezu toujours sur nos talons.

Nous arrivons enfin à une petite tombe, un peu à l'écart. Sur celle-ci, un magnifique oiseau est gravé, mais elle est poussiéreuse. Et il n'y a que très peu de fleurs sur cette tombe. Il n'y a que des baies. Des baies ? Oui, on dirait que quelqu'un dépose ces fruits et les aligne parfaitement devant la tombe.
Je ne comprends pas tout ce qui se passe ici. Mais peut-être que Kai m'a fait venir ici pour enfin me donner quelques explications ?

Il s'agenouille devant la tombe et pose son carton à côté de lui. Il en sort une Pokéball. Avec un oiseau dessus. Comme sur la tombe. Et il la pose sur le marbre, en haut, on niveau de l'aile gauche du volatile. Puis il se met à frotter la tombe, révélant petit à petit les inscriptions que la poussière et la saleté gardaient cachées. Il se recule, et lit à haute voix :
- Timothée Merchier, puisses-tu reposer en paix.
Personne ne dit rien. Même l'autre peste de Chi garde le silence. Une ou deux larmes coulent sur les joues de Kai. Il s'écoule plusieurs minutes ainsi, avant qu'il rompe à nouveau le silence.
- C'est la tombe de mon père. Il est mort il y a dix ans. Dans une sorte d'accident on va dire. C'était peu après mon cinquième anniversaire. Mon père travaillait de nuit, et comme tu le sais ma mère est infirmière. Du coup, je devais parfois rester seul. Ma maison, dans laquelle nous venons de passer quelques jours, est proche de celle du Professeur Tan. Il était chargé de jeter un œil sur moi. C'était mon « Tonton Tan » à l'époque. Mais mes parents avaient dressés certains de leurs Pokémon pour qu'ils restent avec moi en leur absence, qu'ils s'occupent de moi et me surveillent. A la mort de mon père, ma mère a relâché tous ces Pokémon, ceux de mon  père mais aussi les siens dont elle s'était occupé avec lui. Elle souffrait et ne voulait rien conserver qui lui rappelait mon père. Alors on est venu ici tous les deux, devant cette tombe, et elle a relâché chaque Pokémon. Un par un. Pendant plusieurs longues heures. En pleurant et en hurlant. C'était horrible et éprouvant.
Moi je voulais garder un souvenir de mon père. Alors j'ai discrètement gardé une Pokéball. Que j'ai caché. Et tous les soirs j'appelais le Pokémon qu'elle contenait. Mais il refusait de m'obéir. C'était un Pokémon très attaché à mon père, mais qui n'obéissait qu'à lui. Et mon père lui avait formellement interdit de s'approcher de moi, car il avait peur qu'il me blesse en se rebellant. Un Polichombr. Ma mère s'en rendit compte, elle devint folle de rage et me confisqua la Pokéball. Elle alla le relâcher, devant cette tombe. Mais le Polichombr refusa de s'en aller.
Il se lève, et fait rouler la Pokéball dans sa main.  Un Polichombr apparaît alors de derrière la tombe et lévite devant les yeux de Kai. Ils se fixent tous les deux. Et plus rien ne se passe pendant quelques minutes encore.
- Ma mère, voyant que Polichombr refusait de quitter le cimetière, renonça à le relâcher dans la nature. Elle ne le rappela pas dans sa Pokéball, mais elle la garda précieusement. Je continuais de venir le voir, mais il n'apparaissait pas devant moi, ou alors seulement pour me narguer. Ca ne faisait rien. Je déposais chaque jour quelques fleurs que je trouvais à l'orée du bois derrière chez moi, et j'attendais une heure, assis devant la tombe. Puis je ne vins qu'une fois par semaine, puis qu'une fois par mois. Puis je ne vins plus.
Mais avant ça, j'avais remarqué que quelqu'un mettait des baies devant la tombe de mon père. Il adorait ça. Il en faisait pousser pleins dans notre jardin pour ses Pokémon. C'est là que je me rendis compte que ce n'était pas le seul de ses Pokémon à refuser de s'en aller.
Il lève la tête vers un très grand arbre, un tout petit peu plus loin. De cet arbre s'étire une longue branche au-dessus du cimetière. Et sur cette branche, un énorme Corboss nous regarde.

- Cornèbre était le premier Pokémon de mon père. Maintenant, il veille sur ce cimetière. Et chaque jour, il apporte une baie sur cette tombe.
Mais il y autre chose encore. J'ai dit que mon père était mort quelque temps après mon cinquième anniversaire. Ce jour-là, mon père et ma mère étaient tous les deux là. Et c'était quelque chose de très rare. Ma mère dut tout de même partir à son travail, elle était de garde, et je restais seul avec mon père. Alors il m'installa à la table, à côté de lui, avec deux feuilles et deux stylos. « Nous allons écrire à ton toi de dans dix ans, qu'en dis-tu ? » me dit-il. Alors, tous les deux, on écrivit une lettre que je devais lire le jour de mon quinzième anniversaire. J'avais oublié tout ça. Mais ma mère avait gardé ces lettres. J'ai un peu de retard, mais je vais les lire, avec toi papa...
Sa voix a pris un ton très doux à la fin de sa tirade, il caresse le nom de son père et les ailes de l'oiseau gravé, le regard un peu perdu. Et il attrape l'enveloppe, contenant les deux lettres.

- Je voudrais que ce soit toi qui me les lises. Commence par la mienne s'il te plait.
J'attrape l'enveloppe qu'il me tend et je commence à lire la première lettre, celle gribouillée avec une main d'enfant.
- Pikachu lance des éclairs ! Piouf ! Galopa évite mais Pikachu est plus rapide ! Paf ! Pouf ! Sacha gagne le combat ! Youpi ! Dans dix ans, je veux être un grand dresseur comme Sacha et aussi fort que papa et faire des gâteaux aussi bons que ceux de maman. Et me faire des amis aussi. Et avoir des Pokémon aussi. Je veux être un garçon trop cool et que les gens m'aiment. Et rester avec mes parents comme ce soir pour toujours.
Le silence est retombé. Il adorait vraiment Sacha par le passé ?
- Mes parents m'avaient emmené voir un match Pokémon le matin, pour mon anniversaire. C'était un combat du grand, de l'illustre, Sacha Ketchum. C'était le plus beau cadeau que l'on pouvait me faire...
Il a un petit rire étrange. Il attrape la lettre et la regarde, les yeux dans le vide. Il retourne la feuille, de l'autre côté il y  a un dessin. Un dessin de lui, avec ses parents, et ce qui semble être Sacha et Pikachu dans un coin, avec un énorme gâteau recouvert de bougie entre sa famille et le dresseur. Il pose ses mains sur ses genoux, froisse un peu la feuille en se crispant pour ne pas fondre en larmes.
Je m'approche de lui et tend la main pour la poser sur son épaule, mais il m'arrête.

- Lis la deuxième.
Je le regarde quelques secondes, cherchant à percer ses sentiments, puis je m'exécute.
- Mon petit Kai... Quand tu liras cette lettre, tu seras certainement parti de la maison, pour grandir et trouver ton propre chemin. Et ta mère et moi attendront sûrement de tes nouvelles avec la plus grande impatience qui soit, ici, à la maison. Tu es mon fils, et quoique tu fasses de ta vie, je serais toujours fier de toi. Où que je sois, où que tu sois, je t'aimerais toujours et serais toujours fier de toi.
Ma voix se brise, mais je dois continuer de lire.
- J'aimerais te faire un cadeau très spécial pour tes quinze ans. J'aimerais que tu prennes Polichombr avec toi. Je suis sûr qu'il t'obéira. J'aurais préféré te donner mon Corboss, mais il est trop vieux pour partir avec toi et il doit veiller sur ta mère et moi. Je t'aime mon fils. N'oublie pas, à chaque fois que tu verras un oiseau, c'est que je suis là pour veiller sur toi.
La lettre est déjà finie. Mais tout a été dit. Mais c'est alors qu'un phénomène étrange se produit. Corboss descend en piquet de son arbre et fonce droit sur Kai. Je n'ai pas le temps de réagir. Tout se passe très vite. Non. Il ne l'attaque pas. Il s'arrête, juste au-dessus de lui, à quelques centimètres, et se pose sur la tombe. Polichombr flotte à ses côtés. Ils regardent tous les deux Kai avec intensité, comme s'ils avaient attendu toutes ces années que cette lettre soit lue devant eux.

Kai relève la tête, il les observe. Il pose sa propre lettre sur le sol à côté de lui et attrape deux baies, une dans chaque main. Puis il tend ses mains, l'une vers Corboss et l'autre vers Polichombr. Les deux Pokémon gobent leur baie, puis Corboss s'envole au loin.
Polichombr volète quelques secondes autour de Kai, puis soudainement rentre dans sa Pokeball qui tombe de la sépulture sur les genoux du garçon. Et aussi vite qu'il a disparu, Corboss réapparait, et dépose un objet étrange sur les genoux de Kai et va se poser ... sur les épaules de la mère de Kai, debout, quelques mètres plus loin à côté de Sacha, alors que je n'ai même pas remarqué leur arrivée.
Kai se retrouve donc, une Pokéball et un œuf dans les bras et me regarde en souriant.

Malgré toutes ces années, son père lui aura quand même offert le cadeau qu'il tenait à lui faire. Et moi, j'aurais appris une partie de l'histoire de Kai. Non sans émotion.


* *
*
* *

J'ai du mal à croire ce qui vient de se passer. C'est... magique.
Moi qui voulait d'un nouveau départ, mon père vient de m'en offrir un très beau. Et même si je ne l'oublie pas, même si une partie de mon passé me hante encore, je commence peu à peu à me reconstruire moi-même.